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Législatives : La France insoumise et Europe Écologie Les Verts s’accordent sur le principe d’une “désobéissance européenne”

Création : 3 mai 2022
Dernière modification : 30 septembre 2022

Auteur : Arnaud Etchalus, master de droit de l’Union européenne, Université de Lille

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani

Source : Communiqué de presse LFi-EELV, 2 mai 2022

La “désobéissance européenne” censée faire avancer l’Union européenne risque plutôt de la faire reculer et la France avec. L’Union résulte d’un contrat entre 27 États. Si la France se soustrait à ses obligations, non seulement les autres États réagiraient, mais le juge français ne suivrait pas…

En ce lendemain d’élection présidentielle, et en vue des élections législatives à venir, Europe Ecologie les Verts (EELV) et la France insoumise (LFI) se sont alliés dans l’espoir d’obtenir une majorité de sièges à l’Assemblée nationale. Il en est sorti un accord, par lequel les deux partis de gauche se sont dits prêts à “désobéir à certaines règles européennes”  – mesure déjà mentionnée au point 70 du programme “Avenir en commun” – chaque fois que cela serait nécessaire pour appliquer leur programme. On voit bien le parallèle avec la “désobéissance civile” tant réclamée en France. Cette proposition fait d’ailleurs beaucoup réagir sur Facebook, Twitter, TikTok, Instagram, Linkedin, etc. Reste que si la France déroge volontairement aux règles de l’Union européenne, elle va se heurter à plusieurs obstacles dont la nouvelle coalition autour de LFI ne dit – volontairement ? – pas comment elle les surmontera. 

Premier biais de raisonnement : le parallèle avec la “désobéissance civile”, qui n’existe pas… 

La désobéissance civile est le refus délibéré de se soumettre à une obligation légale. Aucun droit à la désobéissance civile n’est reconnu en droit français, mais l’idée a inspiré la création d’autres droits comme celui à l’objection de conscience. On en trouve même une expression dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui proclame en son article 2 que la résistance à l’oppression est un droit naturel et imprescriptible.

Reste que la résistance à l’oppression est plus une exigence morale face à un régime oppressif comme la France en a connu sous la Seconde Guerre mondiale, qu’un véritable droit dont on pourrait se saisir sans se mettre en infraction, par exemple en roulant à 150 Km/h sur l’autoroute en prétendant que la limite à 130 serait une atteinte aux libertés. Les faucheurs volontaires de champs de culture OGM avaient été condamnés par la justice, de même que ceux des gilets jaunes qui avaient enfreint la loi, ou encore des commandos anti-IVG qui bloquent des cliniques pratiquant l’avortement. En France comme en Europe, ce type de “désobéissance” a un nom : c’est une infraction à la loi.

Deuxième biais de raisonnement : le droit de l’Union européenne, c’est une convention, des obligations réciproques dont chacun bénéficie

S’ils obtiennent la majorité à l’Assemblée nationale, les élus insoumis entendent donc enfreindre volontairement le droit de l’Union européenne, chaque fois qu’ils le jugent incompatible avec certaines des mesures écologiques et sociales qu’ils veulent mettre en place.

Or, les États membres en droit de l’Union européenne sont non seulement soumis à ce droit et tenus de le respecter, mais plus encore, ils se doivent de prendre toutes les mesures possibles pour exécuter leurs obligations. La primauté du droit de l’Union a été rappelée de très nombreuses fois par la Cour de justice de l’Union européenne depuis 1964, et solennellement rappelée par tous les gouvernements des États membres dans une déclaration en 2007. Elle constitue la clé de voûte du bon fonctionnement de l’Union européenne. Les Surligneurs en ont abondamment parlé.

En appliquant le droit européen “à la carte”, la France contreviendrait à ses obligations et mettrait à mal l’harmonisation et l’unité de droit européen. De plus, si la France Insoumise, dans son programme, entend “cesser d’appliquer unilatéralement les normes incompatibles avec les engagements écologiques et sociaux telles que la directive sur le détachement des travailleurs, les règles budgétaires, les règles de la concurrence, la libre circulation des capitaux”, ce principe de désobéissance pourrait être réutilisé par d’autres États pour justifier des atteintes bien plus graves à l’État de droit ou aux libertés individuelles.

Car il ne faut jamais oublier que le droit de l’Union européenne résulte d’une convention, autrement dit d’un contrat entre 27 États, et que toute partie à un contrat doit en respecter les termes. Il est illusoire de croire que la France pourrait violer les termes du contrat sans entraîner des réactions de la part des autres États qui en profiteraient pour eux-mêmes se soustraire au droit européen ou pire, prendre des mesures de rétorsion contre la France (par exemple en boycottant les produits français). Au total, une Europe “à la carte” se retournerait contre la France, recréant entre les États européens les mêmes rapports que ceux qui prévalent entre la Chine et l’Europe : une guerre économique.

Troisième biais de raisonnement : le silence sur les sanctions que prononcerait l’Union européenne

Rien n’interdit à la France de militer pour modifier les règles européennes et l’obtenir dans le respect des procédures. Jean-Luc Mélenchon et LFI veulent agir différemment : faire pression sur les institutions européennes pour obtenir, à terme, une renégociation et une modification des traités. Manon Aubry, présidente du groupe de la gauche au Parlement européen, et eurodéputée LFI, souligne d’ailleurs que la “désobéissance européenne” n’est pas un phénomène nouveau et aurait permis d’obtenir des avancées sociales par le passé.

Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas pour autant autorisé. Lorsqu’Emmanuel Macron a décidé en août 2021 de reporter la mise en œuvre des contrôles techniques des deux-roues, il a mis la France en infraction par rapport au droit de l’Union. Cette désobéissance tenait cependant moins à une volonté de convaincre les Européens d’abandonner cette règle, qu’à celle de “ne pas embêter les Français”, “à un moment où nos concitoyens ont déjà beaucoup de contraintes” (traduire : “sauve qui peut, les élections approchent !”). Le contrôle technique des deux-roues n’est d’ailleurs que temporairement suspendu, et devrait finir par s’appliquer. Il existe aussi parfois des dérogations (clauses d’opt-out) incluses dans les traités. Le Danemark, par exemple, ne participe pas aux politiques de défense européenne. Mais dans un tel cas, la dérogation est négociée en amont et acceptée par tous les États membres.

Si la France refusait d’appliquer certains textes, la Commission européenne engagerait certainement une procédure d’infraction. La Cour de justice de l’Union européenne pourrait alors condamner l’État français à de lourdes sanctions financières, comme elle l’avait fait en 2005, déjà à l’encontre de la France, avec plusieurs dizaines de millions d’euros d’amende à payer. Et si le gouvernement refuse de se soumettre à ces sanctions, la Commission pourra déduire ces amendes des subventions qu’elle verse chaque année à la France, comme elle prévoit de le faire à l’égard de la Pologne qui refuse de payer ses récentes amendes. 

Quatrième biais de raisonnement : si un gouvernement peut décider de désobéir, le juge français ne peut pas

Prenons un exemple connu de tous les juristes : dans les années 1990, pour faire plaisir aux chasseurs, le Parlement français avait voté des dates d’ouverture de la chasse en contradiction frontale avec certaines directives européennes protégeant certains gibiers. Sur demande des associations de protection de la nature, le Conseil d’État n’y est pas allé par le dos de la cuillère : en 1999, il a ordonné à la ministre de l’environnement de l’époque de désobéir à la loi en fixant des dates de chasse conformes aux directives européennes. 

Autre exemple, le 4 août 2021, le Conseil d’État a condamné la France à 10 millions d’euros d’amende pour ne pas avoir fait le nécessaire pour réduire suffisamment la pollution de l’air, en infraction donc avec la directive européenne sur la qualité de l’air

Chaque fois que la France, volontairement ou non, s’affranchit du respect du droit de l’Union européenne, le juge français la rappelle à l’ordre, annule ou écarte les textes non conformes, et condamne même l’État à indemniser les victimes de ces manquements (qui peuvent être les entreprises étrangères lésées !).

La coalition autour de la France insoumise ne dit pas comment, tout en refusant de se soumettre au droit de l’Union, elle soumettra le juge français lui-même, alors même qu’elle affirme dans l’accord conclu avec EELV vouloir respecter les valeurs européennes, dont l’État de droit et la démocratie.

Contactées, les équipes de LFI et EELV n’ont pas souhaité répondre à nos sollicitations.

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