De l’annonce des scores à la télévision à la proclamation officielle : ce n’est pas le duo Delahousse-Lapix qui officialise le résultat, mais le Conseil constitutionnel

Création : 28 avril 2022
Dernière modification : 21 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Autrice : Yasmine Elka, master de carrières administratives, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et Sciences Po Saint-Germain-en-Laye 

Secrétariat de rédaction: Emma Cacciamani et Yeni Daimallah

Entre les “résultats” tels qu’annoncés à la télévision grâce aux sondages de sortie des urnes, et les résultats officiels proclamés par le Conseil constitutionnel, il se passe quelques jours, le temps que toute la machinerie électorale fasse son œuvre.

Dimanche 24 avril, plus de 13 millions de personnes étaient devant leur télévision pour suivre l’annonce des résultats de l’élection présidentielle, qui ont vu Emmanuel Macron l’emporter pour la seconde fois. Mais cette annonce n’équivaut pas à une proclamation officielle : en réalité, le déroulement de la campagne électorale ainsi que son issue sont soumis au contrôle du Conseil constitutionnel en vertu de l’article 58 de la Constitution, et cela en coordination avec la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale. Un des rôles de cette commission est de transmettre au Conseil constitutionnel les irrégularités portées à sa connaissance et susceptibles d’affecter la campagne des candidats. Elle comprend cinq membres, dont les présidents des trois plus hautes juridictions de France.

Ce contrôle se déroule pendant le scrutin, par exemple par l’envoi de magistrats dans les bureaux de vote, à la demande du Conseil constitutionnel, mais aussi après le scrutin, par l’examen des procès-verbaux de chaque bureau et des réclamations. Qui sont ceux qui œuvrent, entre l’annonce à la télévision et la proclamation officielle, à la confirmation des résultats afin que soit respectée la volonté des électeurs exprimée dans les urnes ?

La remontée des résultats vers le Conseil constitutionnel

Dès dimanche, le soir-même du scrutin, le Conseil constitutionnel a centralisé les procès-verbaux des quelques 70 000 bureaux de vote, chacun rassemblé au chef-lieu de son département. Le Conseil constitutionnel examine ensuite les rapports de ses délégués (qui surveillent le déroulement du scrutin dans chaque bureau de vote, auprès des assesseurs), puis statue sur les éventuelles réclamations. Ces réclamations peuvent émaner des électeurs, du préfet ou de l’un des candidats à la suite d’une constatation d’irrégularité au sein d’un ou plusieurs bureaux de votes. Le Conseil peut donc rectifier les résultats consignés aux procès-verbaux. 

Après avoir arrêté les résultats du premier tour, le président du Conseil annonce officiellement les noms des deux concurrents pour le second tour. À l’issue du second tour, il proclame les résultats. Ceux-ci sont définitifs dès la proclamation, puisqu’il n’existe pas de voie de recours (les réclamations sont examinées avant la proclamation, et le droit français ne prévoit pas de réclamation après).

La proclamation officielle intervient après examen des réclamations : au premier tour…

Cette année le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, a déclaré les résultats du premier tour le mercredi 13 avril, soit 3 jours après le scrutin. Ce délai s’explique par l’obligation d’examiner les réclamations relatives aux irrégularités dénoncées. 

Dans la décision qu’il a rendue le 13 avril 2022 à propos des résultats du premier tour, le Conseil constitutionnel a traité pas moins de 19 réclamations sérieuses relatives au premier tour (d’autres déclarations sont rejetées car non recevables).

Par exemple, dans un des bureaux de vote de Toulouse, où 1 479 suffrages ont été exprimés, il existe des “discordances importantes et inexpliquées entre les chiffres inscrits dans le procès-verbal retraçant les résultats et ceux figurant dans les feuilles de dépouillement”. Par conséquent, le Conseil a annulé l’ensemble des suffrages exprimés dans ce bureau. De même, à Grasse, dans des bureaux de vote, “le magistrat délégué du Conseil constitutionnel a constaté, lors de son passage, que l’urne était ouverte, de sorte qu’il était possible d’y introduire des bulletins de vote par une autre ouverture que celle prévue à cette fin”. Une telle irrégularité étant de nature à favoriser la fraude, le Conseil a là encore annulé l’ensemble des suffrages exprimés dans ce bureau.

Autres irrégularités ayant entraîné l’annulation du scrutin : l’absence de liste d’émargement, de procès-verbal, l’accès refusé à un délégué représentant d’un candidat, la fermeture d’un bureau de vote à 18 heures au lieu de 19 heures, le refus de laisser entrer le magistrat délégué par le Conseil constitutionnel.

Au total, à l’analyse des 19 réclamations, près de 10 000 suffrages exprimés ont été annulés, pas de quoi donc influencer les résultats, qui font apparaître un écart de 5,5 millions de voix environ. Pas non plus de quoi remettre en cause la proclamation officielle dans la foulée.

… et au second tour

Le Conseil constitutionnel a proclamé ce mercredi 27 avril les résultats du second tour. Même procédure, le Conseil constitutionnel a pris le temps de vérifier les procès-verbaux de toutes les opérations de vote, ainsi que les 21 réclamations. Là encore, quelques irrégularités classiques comme l’absence de procès-verbal qui rend le scrutin nul ou encore le fait que certaines urnes n’étaient pas verrouillées, mais aussi d’autres causes de nullité. 

En Haute-Garonne, un bureau de centralisation des décomptes modifie sans motif les chiffres d’un bureau de vote. À Perpignan, le dépouillement s’est effectué “sans double contrôle ni lecture à haute voix des bulletins dépouillés, ni comptage des bulletins au fur et à mesure du dépouillement”. À Marmande (Lot-et-Garonne), certains électeurs se sont vus refuser l’accès au bureau de vote sans raison valable. À Kourou (Guyane), c’est le compteur de votes de l’urne qui ne fonctionnait pas (heureusement, ce n’était pas sur la base spatiale). À Les Aires (Hérault), on faisait signer les votants avant qu’ils aient voté. À Francheville (Rhône), des professions de foi traînaient à côté des bulletins de vote. À Molring (Moselle), pas d’isoloir pour faire respecter le principe du vote secret. À Ghyvelde (Nord), tout le monde se connaît peut-être, mais ce n’est pas une raison pour ne pas exiger la pièce d’identité avant le vote. Dans plusieurs autres communes, le manque de volontaires pour faire fonctionner les bureaux de vote a conduit les maires à autoriser l’ouverture de bureaux avec un seul assesseur. Dans d’autres communes, quand le magistrat délégué est passé, il n’y avait personne pour tenir le bureau de vote.

À Saint-Lon-les-Mines (Landes), l’urne avait deux ouvertures. Enfin, dans la toute petite commune de Cizancourt (Somme), on a voté dans l’église, avec pour isoloir… le confessionnal.

Enfin, Jean Lassalle, à Lourdios-Ichère (Pyrénées-Atlantiques), a publiquement mis en scène, dans le bureau de vote, son abstention. Puis il a pris la parole, face à des caméras présentes dans ce bureau, pour exprimer, devant l’urne, son refus de participer à l’élection. Il a immédiatement diffusé sur les réseaux sociaux cette vidéo. Selon le Conseil constitutionnel, ce comportement a constitué une “atteinte au respect dû à la dignité des opérations électorales auxquelles il a participé en qualité de candidat au premier tour”. Non seulement ces agissements ont “altéré la sincérité du scrutin” dans la commune (Jean Lassalle a donc réussi à augmenter le taux d’abstention car 90 suffrages ont été annulés pour cette raison), mais le Conseil constitutionnel rappelle que d’éventuelles poursuites pénales pourraient être engagées.

Au total, pour ce second tour, tout de même près de 20 000 suffrages annulés, mais là encore, pas de quoi annuler l’ensemble du scrutin.

En somme, ce n’est pas le duo Delahousse-Lapix (France 2) qui fait les présidents à grands coups de sondages de sortie des urnes, mais les électeurs, dont les votes sont patiemment comptés, recomptés, transmis puis vérifiés, dans ce qui fait un service public électoral que bien des démocraties nous envient.

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