Rémi Noyon, CC 2.0

Le programme de Marine Le Pen passé au crible

Création : 7 avril 2022
Dernière modification : 1 juillet 2022

Auteur : Vincent Arnaud, juriste

Relecteur : Vincent Couronne, chercheur au centre de recherche VIP, Université Paris-Saclay

Relecteur : Alex Yousfi, juriste

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng

Source : Les Surligneurs

Le programme de Marine Le Pen reste fondamentalement d’extrême droite. Et comme pour Éric Zemmour, il n’est pas compatible avec un État de droit ou une démocratie, et porte donc atteinte à des principes fondamentaux.

Malgré un discours policé, Marine Le Pen reste une candidate fondamentalement d’extrême droite, comme l’ont analysé le journal Le Monde et la Fondation Jean Jaurès. Marine Le Pen n’assume plus de sortir la France de l’euro ou de l’Union européenne, ni même de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais sans modifier son programme sur le fond, une bonne partie de ses mesures restent inapplicables, en tout cas s’il plaît aux Français de continuer à vivre dans un État de droit.

Cette campagne a démarré par un invité surprise pour Marine Le Pen, en la personne d’Éric Zemmour. Une candidature qui a poussé certains RN à rejoindre le parti Reconquête !, poussant Marine Le Pen a demander à deux députés européens élus sur la liste RN “à renoncer à leur mandat”. Si politiquement cette demande exprime le mécontentement de Marine Le Pen face aux défections, sa demande est juridiquement irrecevable. Les députés sont investis d’un mandat représentatif et non impératif, c’est-à-dire que les élus exercent le pouvoir librement. On ne peut pas les blâmer pour des positions ou opinions, même changeantes. 

Interdire le voile dans l’espace public ?

Malgré des préventions répétées par Les Surligneurs, il semblerait que Marine Le Pen maintienne son intention d’interdire le voile dans l’espace public. Cette proposition demeure d’ailleurs l’une de ses plus connues et controversées : véritable sujet de débat sur nombre de plateformes numériques telles que Twitter, Instagram, Facebook, TikTok, Linkedin, etc. Or une limitation de la liberté religieuse dans l’espace public ne serait possible que si un motif d’ordre public l’exigeait. Il reviendra donc à Marine Le Pen de justifier en quoi le voile porte atteinte à la sécurité publique. Une loi interdisant le port d’un signe religieux de manière générale et absolue dans l’espace public serait très certainement censurée par le Conseil constitutionnel et pointée du doigt par la Cour européenne des droits de l’homme.

Réserver les logements sociaux et les prestations sociales aux Français ?

Zemmour mettait à mal le principe de fraternité, Marine Le Pen s’attaque au principe d’égalité  – qu’on se rassure, Éric Zemmour n’est pas en reste non plus sur les atteintes à l’égalité. La présidente du Rassemblement national propose en effet de réserver les logements sociaux aux Français et ce, en dépit du principe d’égalité. En l’état du droit, la préférence nationale pour les logements sociaux semble contraire à la Constitution, sans compter les obligations de la France à l’égard des étrangers ressortissants de l’Union européenne. 

Toujours suivant ses intentions de priorité nationale, Marine Le Pen souhaite réserver un certain nombre de prestations, comme les allocations familiales, exclusivement aux Français. Cependant, à moins de modifier la Constitution et de sortir du Conseil de l’Europe, supprimer les allocations familiales aux étrangers travaillant en situation régulière est contraire au principe d’égalité. Le Conseil constitutionnel également a déjà pu censurer une restriction similaire pour méconnaissance du principe constitutionnel d’égalité.

Un durcissement excessif de la politique migratoire

Longtemps députée européenne, Marine Le Pen fait pourtant depuis longtemps de la résistance face aux institutions de Bruxelles. En octobre 2020 au micro de RTL elle va jusqu’à souhaiter sortir d’un certain nombre d’articles de la Convention européenne des droits de l’homme, promesse qu’elle a réitérée ces derniers jours. L’idée est de ne plus être soumis, notamment, à l’article 3 qui interdit les traitements inhumains et dégradants, et qui prohibe par conséquent d’expulser une personne qui pourrait être soumise à de tels traitements dans son pays. Sortir de quelques articles seulement de la CEDH ? Une mesure proprement impossible en droit. Il faudrait pour cela que la France sorte complètement du Conseil de l’Europe.

Marine Le Pen souhaite par ailleurs rétablir les contrôles aux frontières tout en prévoyant des procédures simplifiées pour les citoyens européens. Cependant à part, en cas de crise, il n’est pas possible de rétablir les frontières. Il faudrait pour cela modifier les traités européens, ce qui requiert l’unanimité des États membres dans un domaine qui est un pilier de l’Union, ce serait donc difficilement envisageable pour ne pas dire impossible.

Réviser la Constitution par référendum pour contourner le Parlement

Marine Le Pen sait bien que pour appliquer son programme, il faut radicalement changer le cadre juridique dans lequel nous vivons depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sauf que pour réviser la Constitution, il faut impérativement l’aval du Parlement, c’est-à-dire l’Assemblée nationale mais aussi le Sénat. C’est cette étape qui a fait échoué les révisions constitutionnelles voulues par François Hollande sur la déchéance de nationalité, et d’Emmanuel Macron sur la modernisation de nos institutions.

Marine Le Pen dit vouloir passer par l’article 11 de la Constitution, qui permet l’organisation d’un référendum à la demande du chef de l’État, sans passer par le Parlement. Mais là, c’est le Conseil constitutionnel qui s’y opposera, car cet article 11 n’est pas fait pour réviser la Constitution, mais seulement pour faire adopter des lois par le peuple français.

De Gaulle l’avait bien fait en 1962 quand il a demandé aux Français d’approuver l’élection du Président de la République au suffrage universel, sans que le Conseil constitutionnel n’y trouve à redire. Mais c’était 1962, et depuis, pas mal de choses ont changé. Notamment en 2000, lorsque le Conseil constitutionnel a déclaré que dorénavant, il contrôlera la conformité à la Constitution des projets de référendums.

Marine Le Pen sera donc bloquée et ne pourra pas mettre en œuvre ses mesures les plus emblématiques : préférence nationale, primauté du droit national sur le droit européen, ou encore référendum d’initiative populaire. Pour tout cela, il faudra l’accord du Parlement.

Mise à jour le 18 avril à 16h22 : le paragraphe sur le rétablissement de la peine de mort par référendum a été supprimé, Marine Le Pen ayant modifié sa position le 15 avril en affirmant qu’elle ne permettrait pas un référendum d’initiative citoyenne sur ce sujet, qui nécessiterait de réviser la Constitution.

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