Crédits photo : Anh De France, CC 2.0

Le programme d’Éric Zemmour passé au crible

Création : 7 avril 2022
Dernière modification : 11 avril 2022

Auteur : Vincent Arnaud, juriste

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur au centre de recherche VIP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani

Source : Les Surligneurs

La détestation d’Éric Zemmour pour les étrangers, la justice ou encore l’Union européenne est bien connue. Conséquence : un programme qui va à l’encontre de la conception de nous nous faisons de la démocratie et de l’État de droit, à l’encontre des valeurs révolutionnaires de 1789.

Comment dire ? Au cours de cette campagne, le programme d’Éric Zemmour est celui qui a donné le plus de travail aux Surligneurs. Il est, de loin, celui qui fait le plus de promesses contraires aux fondamentaux du droit. Pas étonnant pour un candidat qui qualifie l’État de droit de “pompeux” et qui, sous couvert de faire primer l’avis de la majorité, veut en réalité supprimer les contre-pouvoirs – notamment la justice – et gouverner seul. Par manque de ressources nous n’avons pas été en mesure de surligner tout son programme, nous en appelons à votre indulgence pour nos lacunes.

Sans surprise, c’est sur les questions d’immigration qu’Éric Zemmour fait le plus de promesses juridiquement discutables, voire impossibles à tenir en démocratie. 

Une “immigration zéro” ?

L’ancien polémiste a affirmé au micro de France Inter en février dernier vouloir arrêter les flux migratoires à zéro. Or son objectif “zéro immigration” pose un sérieux problème constitutionnel, mais aussi à l’égard du droit européen et du droit international : cela concerne l’asile, le regroupement familial, les ressortissants européens… Il faudra lever de nombreux obstacles pour y parvenir. Pour l’instant cet objectif d’une immigration nulle est inconstitutionnel, sauf pour les ressortissants hors de l’union européenne mais là encore si on exclut les cas de regroupement familial et les demandeurs d’asile.

Pour tenir sa promesse, Éric Zemmour devra sortir de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe, dénoncer la Convention de Genève sur le droit des réfugiés, et plus encore. Rien d’impossible, mais il devrait dire aux électeurs les conséquences de ses propositions.

Un candidat qui a un problème avec les contre-pouvoirs

Éric Zemmour semble mal connaître le fonctionnement des institutions européennes. Selon lui, la Commission européenne “décide seule de la politique européenne. Mais il se trompe ici doublement : la Commission européenne a perdu en autonomie ces dernières années rendant les États encore plus incontournables. Rien ne peut être fait sans les États membres. Par ailleurs, les décisions politiques de la Commission ne sont pas prises par “Bruxelles toute seule” mais sur la base de traités approuvés et signés par tous les États membres.

Pourfendeur de ce qu’il croit être un “gouvernement des juges” en France, Éric Zemmour déclare également que “le peuple décide, et non le Conseil constitutionnel”. Or si Éric Zemmour veut faire passer des lois sans crainte que le Conseil constitutionnel l’en empêche, il doit modifier la Constitution elle-même. Dans ce cas, soit il fait passer son programme dans la Constitution, court-circuitant de fait le Conseil constitutionnel, soit il supprime le Conseil constitutionnel lui-même, ce qui nécessiterait de retirer la France de la Convention européenne des droits de l’homme, voire de l’Union européenne. Là encore, il faut le dire et l’assumer.

Petite erreur de lecture du Code de procédure pénale, Éric Zemmour souhaite réhabiliter la “perpétuité réelle. Mais il existe bien une perpétuité pour les crimes les plus graves. La “perpétuité réelle” est une peine de réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 30 ans, soit illimitée. Certaines personnes ne sortent jamais de prison, donc nul besoin de réhabiliter une peine qui existe déjà.

Traiter les associations d’aide aux migrants en “ennemies” ?

Autre potentiel conflit avec la Constitution dans le discours d’Éric Zemmour, sa volonté que les associations d’aide aux migrants soient traitées comme des “ennemies et leurs responsables emprisonnés. Cependant l’aide humanitaire aux étrangers entrés irrégulièrement en France est désormais protégée par la Constitution française, au titre de la fraternité. Il faudra donc modifier la Constitution pour réserver la fraternité aux seuls français. 

Pour s’affranchir de ces problèmes de constitutionnalité Éric Zemmour veut faire passer ses réformes par référendum dès son élection, et ce en même temps que les législatives. La loi référendaire, permettant au peuple de s’affranchir de sa propre Constitution est l’unique voie possible pour faire passer une partie inconstitutionnelle de son programme. L’appel au peuple souverain pour violer la Constitution est certes possible mais face au droit international, c’est plus complexe. Les juridictions de notre pays, la Cour de cassation et le Conseil d’État notamment contrôlent la conformité des lois aux traités et toute loi contraire est écartée. Cette option reste cependant hypothétique car elle reviendrait pour la justice à défier le peuple qui se serait exprimé par référendum. 

Contraindre la commande publique à privilégier les entreprises françaises ?

Parfois il suffit d’ailleurs d’un seul homme pour créer la contradiction. En effet, Éric Zemmour veut contraindre la commande publique à privilégier les entreprises françaises. Mais vouloir, dans le même discours, faire de la France une grande puissance économique mondiale avec des entreprises qui exportent, et commencer par se retirer juridiquement du marché intérieur européen et de l’Organisation mondiale du commerce relève d’une logique difficile à percevoir. Le droit européen de la commande publique interdit de privilégier les entreprises françaises. Il en va de même pour l’OMC, dont la France est membre.

Un programme d’extrême droite, pour un candidat d’extrême droite

Un programme radicalement d’extrême droite, et le discours qui va avec : Éric Zemmour à déjà été l’objet de condamnations judiciaires, même si l’intéressé affirme qu’il n’a pas été condamné par la justice mais pour délit d’opinion, et ce parce qu’il a “une parole trop libre et que ça gêne certains”. Sauf qu’il a été condamné pour provocation à la haine et à la discrimination, et non pour délit d’opinion, délit parfaitement inexistant en droit français. Éric Zemmour a vraisemblablement oublié qu’il n’était pas interdit d’être raciste, islamiste, xénophobe etc., le tout étant de ne pas l’exprimer sans encourager la haine et la violence.

Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.