François Ruffin, à propos des profits de TotalEnergies : il faut “bloquer les dividendes”

Création : 10 février 2022
Dernière modification : 30 septembre 2022

Auteur : Alex Yousfi, juriste spécialisé en droit privé

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Source : BFMTV, 9 février 2022

Quoi que l’on pense des dividendes et des profits, ce système reste protégé par le droit de propriété qui est constitutionnel. L’État n’a en l’état actuel du droit aucun moyen de bloquer les dividendes. Il peut inciter, refuser les aides économiques, voire taxer les dividendes, mais pas bloquer.

Invité le 9 février sur BFMTV, François Ruffin a demandé au Gouvernement de bloquer la distribution des dividendes chez TotalEnergies, après que la compagnie multinationale de production et de fourniture d’énergies a dégagé un bénéfice de 16 milliards de dollars pour l’année 2021. Critique d’un capitalisme actionnarial qui conduit à des distributions records de dividendes, dans le contexte de la crise du Covid-19 et de la flambée des prix, le député La France Insoumise (LFI) semble ignorer que bloquer les dividendes serait contraire au droit de la propriété privée, protégé par la Constitution.

Seule l’assemblée générale de TotalEnergies peut bloquer les dividendes, pas l’État

Les actionnaires de TotalEnergies sont des investisseurs financiers qui, titulaires d’actions achetées sur le marché boursier, espèrent en retirer un profit par la distribution de dividendes. En contrepartie, ils prennent le risque de perdre leur investissement en contribuant aux pertes en cas de mauvais résultats. En cas de bons résultats, les actionnaires ont, à l’inverse, un droit au dividende, c’est-à-dire à une part des bénéfices réalisés dans l’année ou prélevés sur les réserves disponibles. Il revient à l’assemblée générale des actionnaires et à elle seule de décider de distribuer les dividendes distribuables en cas de bénéfices, ou au contraire de renoncer purement et simplement aux dividendes.

En théorie donc, les actionnaires de TotalEnergies pourraient, dans le contexte sanitaire et économique, décider de ne pas distribuer de dividendes, de renoncer ou d’en limiter la distribution. Un tel serrage de ceinture paraît cependant hautement improbable compte tenu de la structure de l’actionnariat de TotalEnergies, composé à 84,3% d’actionnaires institutionnels (compagnies d’assurance et mutuelles de prévoyance, compagnies d’investissement, compagnies en charge de la gestion institutionnelle de l’épargne, etc.). Les fonds de pension, tous tournés vers la création de valeur actionnariale, n’ont intérêt qu’à la rentabilisation de leurs investissements financiers. L’État peut quant à lui renoncer à ses propres dividendes dans ses propres entreprises (par exemple EDF), mais il ne saurait faire de même à l’égard des entreprises privées.

Le droit aux dividendes est un droit protégé par la Constitution

Le droit de la propriété privée est protégé par la ConstitutionLa propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité”. Ainsi, les dividendes auxquels les actionnaires de TotalEnergies ont droit en votant en ce sens lors de de l’assemblée générale sont protégés par la Constitution.

Plus précisément, la jurisprudence du Conseil constitutionnel protège la propriété privée, qu’il y ait  privation pure et simple (comme le souhaite François Ruffin), ou simplement limitation des conditions de son exercice (par exemple, en créant des contraintes telles que l’obligation d’utiliser les bénéfices pour réinvestir ou augmenter les salaires). En tout état de cause, cette dernière solution supposerait une loi visant toutes les sociétés faisant des bénéfices, et pas uniquement TotalEnergies, car il y aurait cette fois violation du principe d’égalité…

Alors que peut faire le Gouvernement ?

Dans le contexte du ralentissement de l’activité économique causé par le coronavirus, les pouvoirs publics n’ont pu qu’inviter les entreprises où l’État est actionnaire, “même minoritaire”, à ne pas verser de dividendes, en tout cas à des particuliers. Cette décision ne s’apparente pas à un blocage autoritaire des dividendes. Il s’agit, au contraire, d’un vote en assemblée générale, au cours duquel l’État actionnaire vote contre la distribution de dividendes (par l’intermédiaire de l’Agence des participations de l’État (APE)). Cela ne peut fonctionner que si l’État est actionnaire majoritaire ou s’il parvient à entraîner avec lui d’autres actionnaires pour former une majorité décidée à renoncer à ses dividendes.

Dans ce même contexte, le Gouvernement a pu légalement décider que les entreprises qui continuaient de verser des dividendes à leurs actionnaires se verraient exclues des mesures de soutien aux entreprises, adoptées en mars 2020, pour modérer les conséquences de la pandémie sur l’activité économique (reports ou remises d’échéances fiscales ou sociales, assouplissement du recours au chômage partiel, mise en place d’une garantie pour les prêts bancaires, etc.).

Le Gouvernement pourrait aussi, plutôt que de bloquer purement et simplement la distribution de dividendes, proposer de modifier le Code général des impôts (par exemple, en augmentant la fiscalité sur les bénéfices). S’il retenait cette solution, les pouvoirs publics ne pourraient cependant pas rendre cet impôt rétroactif.

On peut aussi modifier la Constitution et restreindre le droit de propriété, mais c’est une autre histoire.

Contacté, François Ruffin n’a pas répondu à nos sollicitations.

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