Vacances scolaires et jours fériés : peut-on interdire les grèves dans le secteur des transports ?

Création : 27 décembre 2023

Republication d’un article du 11 février 2023

Auteurs : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, Laboratoire Droit et changement social, Nantes Université

Thomas Petit, master de Culture & Communication, Science Po Saint-Germain-en-Laye

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Interdire les grèves dans les transports les veilles de vacances scolaires, durant les vacances et les jours fériés prohibe l’exercice de ce droit constitutionnel pendant quasiment la moitié de l’année. Disproportionné au regard de l’intérêt général invoqué, un tel texte serait probablement considéré comme inconstitutionnel.

Les vacances scolaires, notamment lors des fêtes de fin d’année, sont la haute saison des longs trajets. Outre la voiture, beaucoup de vacanciers utilisent les transports en commun pour partir en congés. Mais les vacances peuvent mal commencer si des grèves se déclarent dans le secteur des transports. Peut-on interdire ces grèves et faire primer un droit de partir en vacances ? Une députée avait fait une telle proposition en février dernier.

En prenant pour exemple la loi italienne, la députée non-inscrite de Vendée, Véronique Besse, propose que “toute grève [soit] interdite dans le secteur des transports les veilles de vacances scolaires, durant les vacances scolaires et les jours fériés”. Mais une telle proposition de loi sera probablement considérée comme contraire à la Constitution.

Toute grève est interdite dans le secteur des transports les veilles de vacances scolaires, durant les vacances scolaires et les jours fériés” : s’inspirant de la législation italienne qui prohibe les grèves pendant les fêtes de fin d’année (entre le 17 décembre et le 7 janvier), celles de Pâques (cinq jours avant et les cinq jours après le dimanche de Pâques), les vacances d’été (du 27 juin au 4 juillet et du 28 juillet au 3 septembre) ainsi qu’à celles de la Toussaint (du 30 octobre au 5 novembre), la proposition de loi en France est justifiée par sa rédactrice comme permettant “d’apporter à tous les voyageurs des garanties afin qu’ils soient certains de pouvoir jouir d’un droit fondamental : celui de voyager”.

CONCILIER LE DROIT DE GRÈVE AVEC LES AUTRES DROITS CONSTITUTIONNELS

Si “le droit de voyager”, pour reprendre les propos de Madame Besse, n’est pas explicitement un droit fondamental, la liberté d’aller et venir a bien été reconnue comme un principe de valeur constitutionnelle ainsi que celui de continuité des services publics. C’est principalement avec ces derniers principes que doit être concilié, dans le cadre des lois qui le réglementent, le droit de grève, également constitutionnel. Il appartient ainsi au Parlement de concilier la grève et la sauvegarde de l’intérêt général auquel elle  peut porter atteinte.

L’INTERDICTION DU DROIT DE GRÈVE : DES CAS TRÈS LIMITÉS

Actuellement, le nombre de professions privées du droit de grève en France est limité à certains agents publics tels les soldats et gendarmes, les membres des compagnies républicaines de sécurité (CRS), les policiers, les gardiens de prisons et les services extérieurs de l’administration pénitentiaire, les magistrats de l’ordre judiciaire, les services des transmissions du ministère de l’Intérieur et les ingénieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile. De 1964 à 1984, les contrôleurs de la navigation aérienne ont également été privés du droit de grève avant que ne soit établi un régime de service minimum. Les personnels du secteur des transports entreraient-ils dans la catégorie définie par le Conseil constitutionnel comme celle des “agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays”  ? Défini de façon aussi générale, cela paraît peu probable.

L’AMPLEUR DE L’INTERDICTION : UNE QUESTION DE PROPORTION … OU DE DISPROPORTION

La simple lecture du calendrier des vacances scolaires montre que celles-ci, toutes zones confondues, couvrent 20 semaines du calendrier, auquel s’ajoutent les cinq jours de “veille de vacances” et quatre jours fériés (8 mai, lundi de Pentecôte, jeudi de l’Ascension et 11 novembre) non inclus dans ces périodes. Sachant qu’un salarié du secteur des transports travaille 47 semaines par an (si l’on déduit ses 5 semaines de congés payés), c’est donc sur quasiment la moitié de l’année de travail que le droit de grève lui serait interdit. Cette limitation des conditions d’exercice du droit de grève ne serait-elle pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur (qui est, on le rappelle, protéger le droit de voyager) ?  Probablement.

PAS DE GRÈVE PENDANT LES VACANCES SCOLAIRES : UN INTÉRÊT GÉNÉRAL IMPÉRIEUX ?

Rappelons le : les vacances scolaires sont avant tout destinées au repos des enfants dans leurs apprentissages. Interdire la grève sur la base de ce calendrier vise donc les seules familles avec enfants ou petits-enfants encore dans le système scolaire. Qu’en est-il de l’énorme proportion de Français sans enfants ou dont ceux-ci sont adultes, qui partent hors saison, principalement pour des raisons économiques ? Leur “droit de voyager” serait-il moins digne d’être protégé que celui des familles avec enfants scolarisés ? D’autant que le conseil constitutionnel a récemment considéré que la détermination du cycle des vacances scolaires – cinq périodes de travail de durée comparable, séparées par quatre périodes de vacance des classes – relevait de la compétence du gouvernement et non de la loi. Cela signifie que le gouvernement peut modifier ce calendrier pour des raisons économiques, d’activités de loisirs d’hiver… voire de compétitions sportives : on le voit, le droit de voyager et le droit au repos des enfants passe bien après d’autres intérêts généraux.

Conscients du risque d’inconstitutionnalité de la proposition de Madame Besse, des sénateurs LR ont annoncé leur intention de déposer une proposition de loi qui se limiterait à “interdire la grève dans les transports les jours fériés et lors des départs et retours de vacances”. Si l’ampleur des périodes de grève interdite est plus limitée, cela n’écarte pas la question de la proportion entre cette limitation du droit de grève et l’objectif de faciliter les départs et retours de vacances.

Une alternative serait-elle un aménagement de la loi 21 août 2007 obligeant les agents des services publics de transports terrestres à se déclarer 48 heures à l’avance lorsqu’ils entendent faire grève ?

 

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