FredAziz, CC 4.0

Karl Olive : il faudrait par des « lois d’exception » interdire les grèves durant certains grands « moments » comme les jeux olympiques

Création : 26 septembre 2023

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relecteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, Laboratoire Droit et changement social, Nantes Université 

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani

Source : France Info, 10 septembre 2023

Deux propositions d’atteintes aux libertés en moins de 30 secondes : cette fois, Karl Olive entend limiter le droit de grève lors des grands « moments », en l’occurrence sportifs. On ne peut limiter le droit constitutionnel de faire grève que pour protéger un autre droit constitutionnel. Or on ne voit pas lequel.

En quelques secondes, le député Renaissance Karl Olive a fait deux propositions contraires à la Constitution et même dangereuses pour notre démocratie. La première consiste à interdire les manifestations pendant les grands « moments » tels que les championnats du monde ou les jeux olympiques, nous l’avons souligné. La seconde consiste à interdire les grèves qu’il qualifie d’« opportunes » lors de ces mêmes événements. Ce sera vite traité.

SEUL UN AUTRE DROIT CONSTITUTIONNEL PEUT LIMITER LE DROIT CONSTITUTIONNEL DE FAIRE GRÈVE

Le droit de grève est de nature constitutionnelle, il est prévu par le préambule de la Constitution de 1946. Mais ce n’est pas un droit absolu, il peut être limité en raison d’autres objectifs constitutionnels : c’est une conciliation de droits constitutionnels. Ainsi plusieurs professions se voient interdire toute grève : les soldats et gendarmes (article L.4121-4 du code de la défense) ; les membres des compagnies républicaines de sécurité (CRS : Loi du 27 déc. 1947) ; les policiers, les gardiens de prisons et les services extérieurs de l’administration pénitentiaire, les magistrats de l’ordre judiciaire (Ordonnance du 22 déc. 1958) ; etc. Chaque fois, la limitation trouve sa justification dans une autre norme constitutionnelle qui est l’objectif de sauvegarde de l’ordre public (décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1982). C’est aussi ce qui avait justifié les réquisitions dans les raffineries durant les mouvements de protestations contre la réforme des retraites.

C’est aussi ce qui avait fait abandonner, dans la même période, l’idée d’interdire les grèves pour laisser les Français partir en vacances : il n’existe pas de droit constitutionnel aux vacances capable de contrebalancer le droit de grève, nous l’avions aussi précisé

De la même façon, il n’existe pas de droit constitutionnel à assister à un match de rugby, fut-il entre France et All blacks, pas plus qu’il existe un droit constitutionnel à assister aux jeux olympiques. 

LE FLOU SUR LE « MOMENT » JUSTIFIANT LES LIMITATIONS DU DROIT DE GRÈVE

Dans ces conditions, qu’entend Karl Olive par « moment » justifiant l’interdiction ? Il faudrait par exemple un « moment » suffisamment important pour que, s’il était menacé dans son déroulement, la sécurité du pays soit menacée, ou des risques se produisent pour la sécurité des personnes. Certes, les grands moments sportifs comme les jeux olympiques ou un mondial de football peuvent être sources d’insécurité lorsque des grèves des transports perturbent les flux de spectateurs, comme cela s’est produit au Stade de France lors de la finale de Ligue des champions 2022. Mais dans ce cas précis, on se souvient que ce n’est pas la grève qui avait provoqué les incidents, sinon la manière dont ses effets ont été gérées sur place. 

LE FLOU SUR LES TRAVAILLEURS VISÉS PAR UNE LIMITATION

Karl Olive visait les personnels des transports terrestres, qui font déjà l’objet d’un encadrement de leur droit de grève sous forme de déclaration individuelle 48 heures avant (article L. 1324-7 du code des transports). Mais ils ne sont pas seuls à pouvoir « gâcher » un événement : les contrôleurs aériens, les éboueurs et personnels de nettoiement en laissant les enceintes sportives se remplir de déchets, les personnels d’accueil des stades, les personnels chargés du captage audiovisuel, les personnels de sécurité, etc., et même, dans une certaine mesure, les personnels des hôtels ! Cela peut donc créer une large interdiction de faire grève.

Tous ces personnels ne font assurément pas partie des “agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays”, et qui seuls peuvent voir leur droit de grève limité selon le Conseil constitutionnel (25 juillet 1979).

Contacté, Karl Olive n’a pas répondu aux Surligneurs.

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