Pourquoi ce n’est pas à la région d’assurer “la compétence inondation” ?

Alexandrin, CC 4.0
Création : 15 janvier 2024

Autrice : Justine Le Floch, doctorante en sciences de gestion, IAE Paris Sorbonne

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle et Clotilde Jégousse

Entre épisodes de sécheresse et d’inondations, la gestion de la ressource en eau donne du fil à retordre aux décideurs politiques, et chacun veut sa part de responsabilité. Retour sur un système de gouvernance si envié à l’étranger, d’une ressource dont le cycle est de plus en plus perturbé.

À la suite des épisodes d’inondations à répétition auxquels les départements du Nord et du Pas-de-Calais doivent faire face, et dont la fréquence est amenée à augmenter en France en raison du réchauffement climatique, le Président de la Région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a dénoncé sur France Info la multitude d’acteurs locaux en charge de la gestion de l’eau, et réclamé une centralisation de cette gestion  au profit de l’État. Selon Xavier Bertrand, “quand il y a quinze acteurs, c’est trop ! Il faut un patron. C’est à l’Etat de le faire”. Sans quoi, ajoute-t-il, son administration serait prête à en prendre la responsabilité. Y a-t-il un problème de répartition des compétences ? Les politiques de décentralisation sont-elles en faute ? Comment en est-on arrivé là alors même que la France est perçue comme avant-gardiste en termes de gestion de la ressource en eau ?

Une politique de bassin pour mieux gérer la ressource en eau

Instaurée par la loi du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, la politique de l’eau en France repose sur une logique de gestion à l’échelle des bassins hydrographiques (également appelés bassins versants).

Le territoire français est découpé en douze bassins versants, dont sept en métropole et cinq dans les territoires ultra-marins. Chaque bassin bénéficie depuis 1964 d’un comité de bassin, c’est-à-dire un parlement représentatif des usagers de l’eau, dont le secrétariat est géré par une agence de l’eau. Les agences de l’eau sont des établissements publics administratifs nationaux, émanations de l’État dans la politique à la fois déconcentrée et décentralisée de l’eau. Elles sont notamment chargées de recouvrer les redevances payées par les usagers au travers de leur facture d’eau, et de financer des projets favorisant une meilleure gestion de la ressource. C’est le cas par exemple de la redevance pour pollution de l’eau d’origine domestique qui permet de financer les actions nécessaires de réduction et d’élimination des pollutions afin d’atteindre le bon état écologique des eaux.

La loi de 1964, perçue comme novatrice à l’époque, a permis de faire coïncider la gestion de l’eau avec les caractéristiques de chaque bassin et les besoins hydrologiques, car la ressource en eau ne correspond évidemment pas aux limites administratives des communes, départements ou régions. L’Union Européenne s’en inspirera par la suite, en généralisant cette politique de bassin à tout le territoire européen avec la Directive-cadre sur l’eau en 2000.

En 1992, la loi sur l’eau a, elle, instauré les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), émanation des orientations décidées dans les comités de bassins sur une période de six ans, ainsi que les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) dans les sous-bassins et éventuellement au sein des Commissions locales de l’eau (CLE). Ces outils d’orientation de politiques publiques liées à l’eau incluent aujourd’hui les conséquences du changement climatique et des conflits d’usage dans leur processus de prise de décision.

Mais cette législation ne concerne que le système de gouvernance de la ressource, laissant aux établissements dont le périmètre dépend des sous-bassins le soin d’élaborer les actions de prévention des risques qui lui sont liés. 

Des établissements publics pour prévenir les inondations 

La gestion des inondations, des submersions et des cours d’eau non domaniaux (c’est-à-dire qui n’appartiennent pas à l’Etat ou aux collectivités territoriales, mais aux riverains) dépend des collectivités territoriales et des établissements publics ayant les compétences dites “GEMAPI”: Gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations. Dans le cadre de cette compétence créée en 2014 par la loi de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et l’Affirmation des Métropoles (MAPTAM), ces derniers peuvent se regrouper au sein d’un Établissement Public d’Aménagement et de Gestion de l’Eau (EPAGE), en vertu de l’article 57 de cette même loi, modifiant ainsi l’article L. 213-12 du code de l’environnement. Les EPAGE ont pour mission de coordonner les actions de prévention des inondations, des submersions et la gestion des cours d’eau non domaniaux à l’échelle du bassin versant d’un fleuve côtier ou d’un sous-bassin hydrographique d’un grand fleuve.  

En parallèle, les collectivités locales peuvent se réunir au sein d’Établissements Publics Territoriaux de Bassin (EPTB), également introduits par l’article 57 de la Loi MAPTAM. En pratique, l’EPTB permet de coordonner les actions en rassemblant tous les niveaux de collectivités, et met en œuvre les projets portés par les comités de bassins dans des domaines tels que que la mise en place des SAGE, des Programmes d’Actions de Prévention des Inondations ou des Stratégies Locales de Gestion des Risques d’Inondation. Cela permet un dialogue privilégié avec les agences de l’Etat sur le territoire. 

Les EPTB et EPAGE coordonnent des actions différentes chacun sur leur territoire hydro-géographique. Source ANEB (2022)

 

Ces EPTB et EPAGE n’ont néanmoins de compétences que sur la gestion des inondations, des submersions ou des cours d’eau non domaniaux. La gestion de l’eau potable et celle de l’assainissement relèvent historiquement de la compétence des communes et, depuis la loi NOTRe de 2015, des communautés de communes et communautés d’agglomérations. Celles-ci peuvent regrouper leurs services au sein de syndicats intercommunautaires, pour plus de cohérence dans leur gestion. Dans un cas comme dans l’autre, les autorités compétentes peuvent ensuite choisir de déléguer la gestion de leurs services à un délégataire privé dans le cadre de contrats de concession (avec par exemple Veolia, Suez ou SAUR), en application de la Directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession.

Trop d’acteurs et aucun pilote ?

Pour résumer, la gestion de l’eau est gérée de façon territorialisée et localisée, tout en offrant une possibilité de coordination à l’échelle des sous-bassins. Par conséquent, Xavier Bertrand a raison lorsqu’il dit que de nombreux acteurs entrent en jeu dans le domaine de la gestion de l’eau et dans la prévention des inondations. Ce constat ne prend d’ailleurs même pas en considération les acteurs liés aux enjeux de pollution de l’eau, auxquels le bassin Artois-Picardie est également confronté, avec seulement 22% de la ressource en bon état écologique

Cependant, c’est bien parce que la ressource en eau ne connaît pas de frontière que les pouvoirs publics cherchent à dépasser le découpage administratif et à renforcer la solidarité territoriale, en assurant la possibilité pour les collectivités qui le souhaitent de se regrouper au sein d’établissements adaptés aux spécificités hydro-géographiques de leurs territoires. Ce découpage est-il source d’incohérences ? Faut-il instaurer un système centralisé comme le suggère le Président de la Région Hauts-de-France ? Probablement, mais pas au profit de la région…

Dans un système déconcentré au niveau des bassins versants que bien des pays nous envient, nombreux sont ceux à partager le constat qu’il faut un pilote dans le système de gouvernance de la gestion de l’eau en France. Reste à savoir qui devrait prendre ce rôle : si Xavier Bertrand soutient que la région est apte à relever un tel défi, la Cour des Comptes, comme beaucoup d’autres, appelle à octroyer aux Agences de l’eau les moyens dont elles ont besoin pour assurer leur mission initiale : définir les politiques publiques de la gestion de l’eau sur leur territoire.

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