Philippe de Villiers : le report de la parution du rapport de la Cour des comptes sur l’immigration constitue une violation de l’article 47-2 de la Constitution et une forfaiture
Dernière modification : 16 février 2024
Auteur : Jean-paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : Compte Facebook de Philippe de Villiers, 14 janvier 2024
Dans sa fonction de contrôle de la gestion des services publics, la Cour des comptes n’assiste pas le Parlement et l’article 47-2 ne s’applique pas. De plus, la forfaiture n’existe plus depuis 1994.
Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France et désormais chroniqueur sur CNEWS, reproche au président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, d’avoir retardé la parution du rapport sur La politique de lutte contre l’immigration irrégulière, qui porte un jugement sévère sur la manière dont sont gérées les frontières, les reconduites à la frontière, le contentieux, etc.
La sortie de ce rapport, comme l’a reconnu Pierre Moscovici, initialement prévue le 13 décembre, a été reportée au 4 janvier afin de ne pas entrer en collision avec les débats parlementaires houleux concernant la loi Immigration. Or, selon Philippe de Villiers, il y aurait “forfaiture”, en raison d’une “violation de l’article 47-2 de la Constitution puisque la Cour des comptes est censée éclairer et assister le Parlement.” Que d’erreurs en une seule phrase…
Le crime de forfaiture n’existe plus depuis 1994
Allons d’abord au plus simple : le crime de “forfaiture”, comme nous avions déjà pu le signaler en surlignant Eric Ciotti, n’existe plus.
Ce crime visait tout agent de l’administration, y compris un magistrat, qui pouvait se rendre coupable dans l’exercice de ses fonctions d’actes directement contraires aux devoirs essentiels liés à sa mission de service public. Cette infraction avait été instituée par Napoléon Ier (code pénal de 1810), parmi d’autres dispositifs destinés à discipliner la fonction publique et à s’assurer qu’elle restait bien au service du pouvoir.
Le crime de forfaiture a été abrogé en 1994 et remplacé par des circonstances aggravantes pour certaines infractions comme le harcèlement et la corruption. En d’autres termes, certaines infractions sont plus sévèrement punies lorsqu’elles sont commises par des agents de l’administration.
L’article 47-2 ne s’applique pas à ce type de rapport
Ensuite, Philippe de Villiers invoque l’article 47-2 de la Constitition, qui ne concerne tout simplement pas les rapports dits “thématiques” de la Cour des comptes. Selon cet article, “la Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement. Elle assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques.”
L’article 58 de la loi organique du 1er août 2001 (loi dite LOLF) précise ce devoir d’assistance : la Cour agit sur demande d’assistance émanant des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat, notamment dans le cadre d’enquêtes. Elle doit aussi déposer, avant la fin du mois de juin, un rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques, de manière à aider le Parlement à vérifier la sincérité du projet de loi de finances qui lui sera présenté à l’automne par le gouvernement. La Cour des comptes est également tenue, en respectant certains délais, de certifier les comptes de l’État auprès du Parlement.
Mais en l’occurrence, le Parlement n’a rien demandé à la Cour, et les comptes de la nation ne sont pas directement en jeu dans la loi Immigration.
Pour comprendre, il faut lire l’article 47-2 jusqu’au bout : “Par ses rapports publics, [la Cour des comptes] contribue à l’information des citoyens”. Autrement dit, la Cour publie très régulièrement des rapports sur la gestion des services de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, ou encore des organismes privés financés par l’État ou la générosité du public. Ces rapports thématiques, publiés sur le site de la Cour et souvent repris dans la presse, éclairent le citoyen sur l’utilisation de l’argent qu’il verse sous forme d’impôt, conformément à l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (“Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique […], d’en suivre l’emploi…”).
Ces rapports thématiques, dont fait partie celui sur l’immigration, relèvent de la seule appréciation de la Cour qui est indépendante des pouvoirs législatif et judiciaire. En décalant la publication du rapport pour ne pas coïncider avec les âpres débats au Parlement, le président de la Cour des comptes a entendu faire en sorte de respecter d’abord le principe de neutralité et ensuite celui de séparation des pouvoirs, ce qui est son droit, quand bien même l’opportunité de sa décision peut être discutée.
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