Peut-on, comme Georges Tron, gérer sa commune depuis sa prison ?
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Condamné en février 2021 à cinq ans d’emprisonnement dont trois fermes et le reste avec sursis, pour viol et agression sexuelle sur une collaboratrice, Georges Tron, maire de Draveil (Essonne), continue de gérer sa ville et vient de présenter le budget 2021 au conseil municipal par un adjoint interposé depuis sa cellule.
L’opposition n’apprécie évidemment pas, estimant que « c’est absurde, si ce n’en était pas dramatique… Il ne dispose absolument plus de l’autorité morale pour assurer ses fonctions », selon Gabrielle Boeri-Charles, du groupe Draveil transition démocratique et écologique.
Le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, qui a été l’avocat de Georges Tron, s’était déjà prononcé sur cette demande par un refus net : « vous demandez à l’exécutif d’intervenir là-dedans ? Mais franchement, quelle hérésie !« , ajoutant que « les oppositions demandent à l’exécutif d’intervenir dans le cadre de décisions juridictionnelles qui (…) dépendent exclusivement des magistrats, qui sont indépendants« . Concluant sur la présomption d’innocence, il botte en touche : « qu’il (Georges Tron) se débrouille avec sa conscience« .
Il est vrai que Georges Tron a le droit pour lui. Il a été condamné en appel et s’est pourvu en cassation : tant que la Cour de cassation n’aura pas statué, il est présumé innocent. S’il est en prison, c’est parce que le recours en cassation n’est pas suspensif, au sens où il n’empêche pas l’application de la peine prononcée par la cour d’appel. La Cour de cassation mettant en moyenne un an à statuer, Georges Tron espère donc être libéré à ce moment s’il obtient gain de cause. Et curieusement, rien en droit n’interdit à un maire de gérer sa ville depuis la prison.
Les cas de révocation : rien de bien précis dans les textes
La révocation demandée par l’opposition municipale de Draveil est possible selon le Code général des collectivités territoriales : « le maire et les adjoints (…) ne peuvent être révoqués que par décret motivé pris en conseil des ministres« . Mais aucun motif n’est indiqué. Alors il faut analyser les exemples passés, qui sont peu nombreux.
On peut citer : la révocation en 2019 de Stéphane Sieczowski-Samier, maire d’Hesdin (Pas-de-Calais), pour prise illégale d’intérêts et complicité de faux, usage de faux en écriture et favoritisme et autres “irrégularités manifestes” dans la gestion de la commune ; la révocation en 2011 d’Ahmed Souffou, maire de Koungou (Mayotte) pour “mise en examen avec interdiction de se rendre sur le territoire de la commune de Koungou le privant de l’autorité morale nécessaire à l’exercice de ses fonctions de maire et sont par conséquent inconciliables avec ces fonctions” ; le révocation de Jean-Paul Goudou en 2013, maire de Saint-Privat (Hérault), condamné deux fois à six mois et un an d’emprisonnement plus une amende pour faux et usage de faux dans un document administratif par un dépositaire de l’autorité publique et escroquerie ; la révocation en 2009, très médiatisée, de Gérard Delongeville, maire d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), pour de graves négligences de gestion de sa ville, auxquelles se sont ajoutées des condamnations pénales, mais seulement par la suite ; plus anciennement celle de Raymond Chalvet en 1986, maire de Lalevade-d’Ardèche (Ardèche), condamné en appel à deux ans d’emprisonnement dont 23 mois avec sursis pour attentat à la pudeur sur mineures de moins de quinze ans, révoqué malgré son pourvoi en cassation, avec l’assentiment du Conseil d’Etat. Chaque fois, le juge administratif a validé la révocation.
Ces cas s’appliquent-ils à Georges Tron ?
Toutes les affaires citées plus haut montrent que la révocation ne dépend pas seulement d’une condamnation mais d’un état de fait, d’une situation objective rendant la ville difficile à gouverner. Peu importe donc que l’intéressé ait été jugé ou non, qu’il se soit ou non pourvu en cassation (car la décision rendue en appel s’applique, rappelons-le : c’est l’autorité de la chose jugée). Il y a dans l’affaire Tron des similitudes incontestables avec certaines des affaires citées, en particulier l’affaire Chalvet.
Par ailleurs, et s’inspirant du Conseil d’Etat, le gouvernement a pris l’habitude de motiver ses révocations par une formule désormais rituelle selon laquelle les jugements et faits reprochés au maire « le privent de l’autorité morale nécessaire à l’exercice de ses fonctions« . Cette formule vise la crédibilité dont doit jouir un maire en tant que représentant à la fois de la commune et de l’État, pour exercer ses fonctions. Certes, il y a la présomption d’innocence comme le rappelle le ministre de la Justice, mais il existe aussi parfois une situation objective de perte d’autorité morale, source de dysfonctionnements pouvant justifier une révocation. Dans le cas de Draveil, la gestion d’une commune et la sérénité qu’elle implique peuvent à la longue pâtir d’une situation pour le moins incongrue.
Un pouvoir très rarement utilisé car à double tranchant
Reste qu’en révoquant un maire, le gouvernement descend dans l’arène municipale et encourt deux risques : d’abord celui d’être accusé d’ingérence dans les affaires locales ; ensuite, s’il accepte trop facilement de révoquer, celui d’être sollicité à la moindre incartade d’un maire, y compris pour des prétextes masquant des raisons de politique locale. Sans compter les risques de partialité selon la couleur politique du maire et celle du gouvernement. D’autant que ce pouvoir conduit l’exécutif à se mêler d’affaires de justice. Autant de raisons de ne l’utiliser qu’avec parcimonie.
Enfin, le pouvoir de révocation d’un maire est considéré par bien des juristes comme anachronique en temps de décentralisation : il date en effet d’une loi municipale du 21 mars 1831 qui prévoyait que les maires et adjoints « peuvent être suspendus par un arrêté du préfet ; mais ils ne sont révocables que par une ordonnance du roi« (article 3). En ce temps-là, depuis le Consulat (Senatus-Consulte du 16 thermidor an X, article 13), c’est l’exécutif qui nommait les maires et adjoints : «le Premier consul choisit les maires et adjoints dans les conseils municipaux», et cela jusqu’en 1884. Depuis, on en est à l’acte III voire IV de la décentralisation, laquelle a d’ailleurs fait son entrée dans la Constitution (article 1er).
Georges Tron finira probablement par être révoqué. Toutefois, nul doute qu’il faudra un jour réformer le droit municipal pour instaurer un mode de destitution du maire ne passant pas par le gouvernement, mais relevant du conseil municipal même. Avec un autre risque : celui de créer une instabilité municipale façon quatrième République, en modèle réduit.
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