Au cœur de la catastrophe sanitaire, le rôle secondaire des maires

Création : 6 novembre 2020
Dernière modification : 21 juin 2022

Auteur : Mickaël Baubonne, maître de conférences en droit, Université de Haute Alsace

Le déconfinement du printemps a mis en avant les maires pour garantir les meilleures conditions sanitaires possibles, grâce à l’urbanisme tactique par exemple avec l’aménagement rapide de pistes cyclables. Mais le déferlement d’une deuxième vague de l’épidémie de covid-19 sur la France renvoie à nouveau les maires aux seconds rôles. Le pilotage de la riposte sanitaire leur échappe et si la gestion de cette riposte est locale, elle relève surtout des préfets et non des maires.

Le pilotage centralisé de la riposte sanitaire (au niveau du gouvernement)

Face à la dégradation de la situation sanitaire, la loi privilégie un pilotage centralisé de la riposte sanitaire, c’est-à-dire par l’État. Ce pilotage est assuré par le ministre de la santé en cas de « simple » menace sanitaire grave, ou par le Président de la République et le Premier ministre dans l’hypothèse d’une « catastrophe sanitaire » comme c’est le cas en ce moment. Cela doit permettre de garantir la cohérence et l’efficacité des mesures prises là où une approche dispersée pourrait par exemple donner lieu à des stratégies d’évitement de la part de la population (en voyageant vers les régions les moins confinées). Face à l’augmentation du nombre d’hospitalisations et de patients en réanimation à cause du nouveau coronavirus, le Président de la République a ainsi déclaré l’état d’urgence sanitaire sur l’ensemble du territoire à compter du 17 octobre 2020. Le Premier ministre a quant à lui défini les mesures générales à l’échelle nationale, notamment un reconfinement de la population par décret du 29 octobre dernier.

La gestion déconcentrée de la riposte sanitaire (au niveau des préfets)

La gestion de la riposte sanitaire s’est davantage « territorialisée » selon le vocabulaire désormais consacré, avec l’intervention des préfets. Le code général des collectivités territoriales leur permet, de leur propre initiative, de durcir les mesures prises au niveau national, en fonction de la situation sanitaire particulière dans leur département. Cette possibilité est rappelée par le décret de reconfinement du 29 octobre. Les préfets peuvent de la sorte restreindre, réglementer, voire interdire des activités autres que celles déjà interdites à l’échelle nationale, ou imposer le port du masque là où il n’est pas encore obligatoire. Le juge administratif sanctionnera en revanche systématiquement un préfet adoptant des mesures moins contraignantes, de nature à nuire à la cohérence et à l’efficacité des mesures dictées à l’échelle nationale.

Au début de l’état d’urgence sanitaire, le Premier ministre a même ordonné par décret aux préfets des départements plus précocement frappés par la deuxième vague d’instaurer des couvre-feux en plus des mesures applicables sur tout le territoire. La décision plus contraignante de reconfiner l’ensemble de la population a mis fin à ces couvre-feux locaux. Mais, confrontés à une situation sanitaire plus difficile qu’ailleurs, des préfets pourraient très bien décider de nouveaux couvre-feux s’ajoutant au reconfinement. D’ailleurs, le 5 novembre, le préfet de police de Paris a interdit les activités de livraison de repas et de vente à emporter entre 22 h et 6 h le lendemain. Le juge administratif veille alors à ce que

ces mesures préfectorales plus sévères soient proportionnées aux risques identifiés et adaptées aux circonstances locales. Comme certains tribunaux administratifs et le Conseil d’État l’ont jugé, les préfets doivent faire dans la dentelle en ce qui concerne tant le territoire concerné que les activités visées.

L’accompagnement décentralisé de la riposte sanitaire (au niveau des maires)

Les maires ne sont pas tout à fait absents. Les préfets doivent les consulter chaque fois qu’il entend durcir les conditions du confinement de la population (fermeture des marchés et des espaces verts par exemple). Le poids des contraintes déjà en vigueur et éventuellement renforcées par les préfets laisse en revanche peu de marge de manœuvre aux maires pour imposer des mesures plus lourdes. De telles mesures seraient probablement regardées par le juge comme disproportionnées.

Le juge administratif exige en fait que les mesures prises par les maires contribuent à la bonne application des mesures prises par le gouvernement et le préfet, ce qui interdit toute initiative différente, même si elle a aussi pour but de lutter contre l’épidémie. L’état d’urgence sanitaire exclut donc toute action autonome des maires pour lutter contre l’épidémie, sauf si cette action est rendue indispensable et urgente (ce qu’on appelle en droit des « raisons impérieuses tirées de circonstances locales »). Et encore faut-il alors que les mesures prises par les maires ne menacent pas la cohérence et l’efficacité de celles prises par l’État, selon le juge.

C’est précisément ce qui a été reproché aux maires qui avaient décidé par arrêtés municipaux l’ouverture de commerces dont la fermeture était pourtant ordonnée par les autorités nationales. Contrairement au premier confinement où certains maires ont cru pouvoir se lancer dans une course à l’échalote en durcissant les mesures nationales, il y a cette fois une volonté de leur part d’assouplir un confinement moins bien supporté (même s’il est moins rigoureux). Or ces assouplissements sont illégaux en toute circonstance. Les tribunaux administratifs de Strasbourg et de Montpellier, bien ouverts quant à eux, l’ont déjà rappelé, et nous l’avions déjà écrit.

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