Nicolas Dupont-Aignan veut faire condamner les djihadistes à trente ans de prison pour intelligence avec l’ennemi

Création : 30 juillet 2020
Dernière modification : 20 juin 2022

Autrice : Léa Perez, étudiante en Master 2 à Sciences Po Saint Germain en Laye, sous la direction de Jean-Paul Markus, professeur de droit public à Paris Saclay

Source : La Matinale Cnews, le 21 juillet 2020

Nous avions déjà surligné comme impossible en 2018 la proposition de Valérie Pécresse de réactiver l’article 411-4 du code pénal qui incrimine les intelligences avec une puissance étrangère pour condamner les personnes « fichées S » avant qu’elles ne commettent des attentats. Pour les mêmes raisons, la demande de Nicolas Dupont-Aignan d’appliquer cet article aux djihadistes pour les condamner à des peines de trente ans d’emprisonnement, ne sera pas suivie par les juges.

Nous avions déjà surligné en 2018, l’impossibilité d’utiliser l’article 411-4 du code pénal qui punit le crime d’intelligences avec une puissance étrangère pour condamner les personnes « fichées S » avant qu’ils ne commettent des attentats.

Nicolas Dupont-Aignan, député et président de Debout la France, invité de la matinale de Cnews le 21 juillet, a réclamé l’application de l’article 411-4 du code pénal pour pouvoir condamner les djihadistes à trente ans d’emprisonnement, estimant que les condamnations actuelles de 5 à 10 ans étaient trop légères.

Le juge pénal ne suivrait pas Nicolas Dupont-Aignan pour les raisons suivantes. L’article 411-4 du code pénal punit le fait d’entretenir « des intelligences avec une puissance étrangère, une entreprise ou une organisation étrangère ». Cette disposition figure dans le chapitre qui traite de la trahison et de l’espionnage, pas du terrorisme.

Or la loi pénale est soumise au principe d’interprétation stricte (article 111-4 du code pénal), ce qui signifie que le juge ne peut pas sanctionner une personne pour des actes que le législateur n’a pas expressément décidé de réprimer. Le juge pénal ne peut donc appliquer une loi à des actes qu’elle n’a envisagés. Il ne peut donc étendre l’infraction de crime d’intelligences avec l’ennemi à une situation de terrorisme. Pour condamner des actes de terrorisme, le juge ne peut se fonder que les infractions prévues au titre II du Code pénal intitulé « Du terrorisme ».

De plus, l’élément matériel de l’infraction (c’est-à-dire la consistance des faits sanctionnés) pose difficulté : « entretenir des intelligences » suppose un acte positif, une interaction entre l’intéressé et l’organisation étrangère. Est-ce que le fait de prêter allégeance à Daesh sur le Darknet, comme c’est souvent le cas, pourrait être considéré comme un fait concret d’intelligence ? En janvier 2016, la garde des sceaux Christine Taubira considérait qu’un seul contact unilatéral de l’auteur vers l’entité étrangère (l’intéressé qui poste son message d’allégeance) ou de l’organisation étrangère vers l’intéressé (en l’incitant à agir), ne suffit pas à constituer l’infraction d’entretien d’intelligences. Par exemple, pour avoir fourni des renseignements à la Chine moyennant finances, deux anciens agents de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ont été condamnés pour intelligence avec une puissance étrangère à 8 et 12 ans d’emprisonnement le 10 juillet 2020.

Enfin, la dernière difficulté tient à la notion d’organisation étrangère selon l’article 411-4. Selon Stéphanie Aubert, juriste en droit pénal et doctorante, auteure de « L’ennemi dans le livre IV du Code pénal français : approches comparés », l’État islamique pourrait bien être considéré comme une organisation étrangère, mais ce n’est pas l’esprit de la loi, qui visait selon elle les organisations en lien avec un État souverain. Une réponse ministérielle du 5 janvier 2016 va également dans ce sens en considérant que l’infraction de l’article 411-4 a pour vocation de réprimer des intelligences avec une organisation étrangère réellement qualifiable d’État, ce qui n’est pas le cas de l’organisation État islamique, malgré le nom qu’elle s’est elle-même donnée.

Pour toutes ces raisons, contrairement à ce qu’affirme Nicolas Dupont-Aignan, qui, contacté, n’a pas répondu à nos questions, le juge pénal ne peut pas appliquer l’article 411-4 du code pénal aux djihadistes et prononcer une peine de prison de 30 ans sur le fondement de cet article.

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