Marion Maréchal et la dispense de visa pour les Kosovars pour entrer dans l’espace Schengen : “STOP à l’élargissement de l’UE !”
Autrices : Fiona Bouquerel et Iona Graffe, Master Droit international et Droit européen, Université de Picardie Jules Verne
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relectrice : Marjorie Beulay, maître de conférences en droit public, Université de Picardie Jules Verne
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : Compte X de Marion Maréchal, 15 janvier 2024
L’espace Schengen résulte d’accords destinés à faciliter la circulation des ressortissants des États qui en sont membres. Il ne suppose pas l’adhésion à l’UE et n’a rien à voir.
Selon Marion Maréchal (tête de liste du parti Reconquête! aux élections européennes), “Le Kosovo est le premier pays « européen » pourvoyeur de jihadistes par habitants. La Commission européenne a décidé que les Kosovars n’ont plus besoin de visa pour voyager dans l’espace Schengen”. Elle en conclut sur son compte X : “STOP à l’élargissement de l’UE !”
Se présentant aux prochaines élections européennes, elle fonde notamment sa campagne sur des promesses de protection des frontières. Cette déclaration a suscité beaucoup de réactions des utilisateurs du réseau, s’insurgeant à leur tour contre la “décision irresponsable de la Commission”, prônant “la sortie de l’espace Schengen” ou encore le “Frexit”. Mais quelle est l’étendue réelle de cette décision de la Commission ? S’agit-il vraiment d’un élargissement de l’Union européenne ?
Le Kosovo n’est pas le seul État concerné par l’exemption de visas
Premièrement, le projet d’exemption de visa en faveur du Kosovo est en discussion depuis plusieurs années au sein du Conseil de l’UE (composé de représentants des États membres). Ces discussions ont conduit à l’exemption, entrée en vigueur au 1er janvier 2024 après avoir été votée en mars 2023. Depuis, les Kosovars peuvent se rendre dans l’espace Schengen sans passeport ni visa pour des périodes allant jusqu’à 90 jours sur une période de 180 jours, ils ne concernent donc que des courts séjours (les plus longs relevant de la compétence des Etats). L’Union européenne applique d’ailleurs déjà ce régime à 61 États non-membres de l’Union européenne sur la base du règlement CE n°539/21 du Conseil du 15 mars 2001. Parmi les 61 Etats concernés, 27 ont conclu des accords plus spécifiques directement avec l’Union européenne.
Ce n’est pas la Commission européenne qui décide
La Commission européenne ne décide pas unilatéralement que les Kosovars n’ont plus besoin de visa pour entrer dans l’espace Schengen. La possibilité d’accorder des exemptions de visa est prévue par le règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code des visas.
Aux termes de ce règlement, la Commission peut proposer d’entamer le processus d’exemption de visa en soumettant au Conseil de l’Union européenne un projet d’inclure un pays tiers dans la liste des pays bénéficiant de l’exemption de visa. Cette proposition est censée se fonder sur une évaluation approfondie de critères, tels que la situation économique du pays, sa stabilité politique, sa gestion des frontières et sa situation sécuritaire.
Afin qu’un accord soit voté, le Conseil de l’UE examine la proposition émise par la Commission et, en collaboration avec les États membres et après évaluation de ces critères, décide ou non d’accorder l’exemption. Cette décision est ensuite approuvée par le Parlement européen. En l’occurrence, le Conseil a d’abord publié sa position le 10 mars 2023, qui s’est suivie d’un vote du Parlement européen le 18 avril 2023. L’acte final a été signé par les parties le 19 avril et publié le 25 avril 2023 dans le Journal officiel de l’UE.
L’élargissement de l’UE ‘a rien à voir avec l’exemption de visas vers l’espace Schengen
La corrélation entre l’exemption de visas en faveur des ressortissants du Kosovo pour entrer dans l’espace Schengen, et l’élargissement de l’UE est fausse. Bien que ces deux démarches soient liées, l’exemption de visas ne signifie pas une adhésion de facto au sein de l’Union européenne. De plus, tous les États de l’espace Schengen ne sont pas nécessairement membres de l’UE, comme la Norvège, et inversement, certains États de l’UE ne sont pas dans l’espace Schengen, comme l’Irlande ou Chypre. Tous les États parties aux accords Schengen ont aboli les contrôles aux frontières intérieures et renforcent leurs frontières extérieures.
Rien à voir donc avec l’Union européenne et son élargissement : pour y adhérer, un État doit respecter des conditions politiques et économiques bien plus strictes (appelées “critères de Copenhague”), fixées par l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, et le processus qui en découle dure plusieurs années. En l’occurrence, le Kosovo a déposé sa candidature à l’adhésion le 15 décembre 2022. Lors de la procédure : “La demande d’adhésion est soumise par le pays aux États membres, qui saisissent la Commission européenne, appelée à rendre un avis. Une fois celui-ci rendu, le statut de pays candidat doit être accordé à l’unanimité par les pays de l’UE. Le statut de pays candidat ne préjuge en rien de l’admission du pays dans l’Union.” Autant dire qu’on est bien loin d’un élargissement de l’Union européenne concernant le Kosovo, contrairement à ce que Marion Maréchal soutient.
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