Rémi Noyon, CC 2.0

Marine Le Pen souhaite “exonérer les moins de 30 ans d’impôt sur le revenu”

Création : 20 avril 2022
Dernière modification : 1 juillet 2022

Auteur : Guillaume Heim, master de droit public de l’économie, Université Paris-Panthéon-Assas

Relectrice :  Pascale Bertoni, maître de conférences HDR en droit public, Université de Paris-Saclay

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay 

Relecteur :  Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Yeni Daimallah

Source : Programme “M la France”, Projet pour la Jeunesse, mesure n°3

Exonérer des contribuables d’impôt sur le revenu sur le seul critère de leur âge semble contraire au principe d’égalité devant l’impôt. Surtout, le Conseil constitutionnel risquerait bien de censurer une exonération qui en réalité ne bénéficierait qu’aux contribuables privilégiés.

Marine Le Pen, candidate au second tour de l’élection présidentielle, propose parmi ses mesures phares d’exonérer les moins de 30 ans de l’impôt sur le revenu, afin de relever leur niveau de vie et leur capacité d’investissement, et limiter ainsi l’expatriation professionnelle pour des raisons fiscales. Cette proposition fait beaucoup parler d’elle sur Facebook, Twitter, Instagram, Linkedin, TikTok, etc. Or, si la loi peut effectivement prévoir un taux d’impôt réduit pour certains contribuables, faire dépendre le taux de l’impôt sur le revenu du seul critère de l’âge semble contraire au principe d’égalité issu de la Constitution.

Toute discrimination fiscale n’est pas contraire à la Constitution

Pour le Conseil constitutionnel, le principe d’égalité devant l’impôt se traduit de deux manières. D’une part, en vertu du principe d’égalité devant la loi (article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), la loi peut régler de façon différente des situations différentes ou déroger à l’égalité pour des motifs d’intérêt général. La différence doit alors avoir un rapport direct avec l’objectif de la loi. D’autre part, en vertu du principe d’égalité devant les charges publiques, chaque redevable doit contribuer dans la mesure de ses capacités (article 13 de la Déclaration de 1789). C’est à la loi de déterminer les “facultés contributives” selon des critères objectifs et rationnels en fonction des buts de la loi.

Cela signifie que des différences de traitement peuvent être parfaitement conformes à la Constitution si elles se justifient par un intérêt général qui les rend nécessaires, et si elles ne créent pas de charges anormales pour une catégorie de contribuables.

Tout dépend de la cohérence entre le moyen (l’exonération) et le but (limiter l’émigration de jeunes)

Concrètement, si Marine Le Pen est élue et tente de faire passer cette loi exonérant de l’impôt sur le revenu tous les moins de 30 ans, le Conseil constitutionnel prendrait d’abord en compte l’objectif poursuivi par la loi, en l’occurrence, selon Marine Le Pen, soutenir le pouvoir d’achat des jeunes actifs et limiter l’expatriation. Le critère d’âge est-il cohérent et justifie-t-il la différence créée entre avant et après 30 ans ? Or, le montant de l’impôt sur le revenu ne dépend pas de l’âge en France, mais de l’organisation familiale, puisque le nombre de parts fiscales change en fonction de la composition du foyer. L’impôt sur le revenu dépend aussi, bien entendu, des revenus, étant donné qu’il se calcule en fonction de tranches de revenu. De façon générale, l’âge comme critère d’imposition sur le revenu n’a jamais été mis en œuvre (en dehors de l’âge de la majorité), car il est bien trop large. 

Par définition en somme, l’impôt sur le revenu dépend… du revenu et du nombre de “bouches à nourrir” avec ce revenu. L’objectif affiché (limiter les expatriations) n’est pas à rejeter en soi : c’est le moyen (l’exonération) qui n’a pas de lien suffisant avec cet objectif. Une mesure plus fine devrait probablement être proposée, visant plus spécifiquement les personnes de tous âges, susceptibles de partir pour des raisons fiscales ou administratives. Rappelons à cet égard qu’il existe déjà une “exit tax” destinée à dissuader les contribuables de s’exiler fiscalement.

Seuls les moins de trente ayant un revenu seraient exonérés !

Le Conseil constitutionnel vérifierait ensuite le respect des exigences d’égalité devant les charges publiques : ne pas imposer trop lourdement certains contribuables au profit d’autres, ou inversement ne pas alléger injustement la charge fiscale de certains au détriment d’autres. Là encore, l’âge ne semble pas être un critère rationnel et efficace au vu de l’objectif poursuivi : l’exonération bénéficierait à l’ensemble des moins de 30 ans, alors que le revenu de ces personnes peut être très variable et qu’une large part des jeunes redevables ne payent déjà pas d’impôt sur le revenu… faute de revenu. Cette mesure favoriserait donc les moins de trente ans ayant un revenu, autrement dit les plus favorisés. Et si l’objectif est de permettre aux moins de 30 ans de fonder une famille en France, quid de ceux qui font un enfant plus tard, sachant que l’âge moyen des mères françaises a tendance à augmenter continuellement ces dernières années (il s’établissait, en 2021, à 30,9 ans contre 29,3 ans en 2001) ?

En 2009, le Conseil constitutionnel avait censuré une exonération de taxe carbone en faveur des industries polluantes, au prétexte que ces industries étaient déjà soumises à un système de quotas d’émission de gaz à effet de serre : la loi ne pouvait à la fois créer une taxe destinée à lutter contre le réchauffement climatique, et en exonérer les principaux pollueurs. 

En somme, le Conseil constitutionnel admet des mesures d’incitation fiscale dès lors qu’elles sont fondées sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés (voir encore à titre d’exemple sa décision de principe à propos d’une exonération de CSG, en 2000). 

L’exonération proposée par Marine Le Pen aurait un effet non seulement très limité, mais inégalitaire : les statistiques de l’Insee montrent en effet qu’une telle mesure risque de manquer sa cible : seuls 53 % des 15-29 ans sont actifs, c’est-à-dire en emploi ou au chômage, contre 88 % des 30-49 ans, tandis que les salaires en début de carrière sont en moyenne plus faibles. Ce sont donc les plus riches parmi les moins de 30 ans qui bénéficieraient le plus de cette mesure, les plus pauvres, qui ne paient pas d’impôt sur le revenu, n’y verraient aucune différence.

Contactée, l’équipe de Marine Le Pen n’a pas répondu à nos sollicitations.

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