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Manuel Bompard (LFI) parle “de crimes de guerre” mais refuse de qualifier le Hamas d’organisation terroriste

Création : 12 octobre 2023
Dernière modification : 13 octobre 2023

Auteur : Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public, chercheur au CREDIMI et au CEDIN, secrétaire général adjoint du Réseau francophone de droit international

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Fonctions politiques ou similaires : aucun

Auteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, centre Versailles Institutions Publiques, Université Paris-Saclay

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Relectrice : Audrey Darsonville, professeure de sciences criminelles, Centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris-Nanterre

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Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, centre Versailles Institutions Publiques, Université Paris-Saclay

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Source : 8h30 franceinfo

Le Hamas est bien considéré par l’Union européenne comme une organisation terroriste, mais d’autres États comme la Norvège ou la Suisse ont fait un choix différent. Les actes commis par le Hamas, en revanche, correspondent sans doute bien à des crimes de guerre, voire à des crimes contre l’humanité.

Depuis l’attaque armée du Hamas contre les populations civiles en Israël, La France insoumise tente de faire entendre un discours différent des autres formations politiques. Refusant de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, les “insoumis” préfèrent parler de crime de guerre, ou encore d’actes terroristes. L’une des scènes qui ont pu créer la polémique s’est déroulée mercredi 11 octobre sur la chaîne d’information en continu France Info, dans l’émission “8h30 franceinfo”, dont Manuel Bompard, coordinateur de l’équipe opérationnelle de la France insoumise, était l’invité. Voici l’échange avec la journaliste Salhia Brakhlia :

La journaliste : “Est-ce que le Hamas est une organisation terroriste ?

La réponse de Manuel Bompard : “Le Hamas est une organisation qui a commis des actes visant à semer la terreur. Et si on prend comme définition du terrorisme le fait de vouloir semer la terreur par des actes criminels, les actes qui ont été commis samedi correspondent à cette définition. Les actes commis samedi en droit international s’apparentent à des crimes de guerre. […] Ma boussole en matière de droit international, c’est l’Organisation des Nations Unies […]. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a pris deux résolutions dans lesquelles il considère comme groupe terroriste Al Qaida et Daesh […]. L’Union européenne a une liste des organisations terroristes dans laquelle elle a inscrit le Hamas, la Suisse a une liste des organisations terroristes dans laquelle elle n’a pas inscrit le Hamas, le Royaume-Uni a une liste des organisations terroristes dans laquelle ils n’a pas inscrit le Hamas mais la branche armée du Hamas.

La polémique à l’encontre de La France insoumise est née du communiqué de presse du parti rendu public le 7 octobre, et qui ne mentionne pas le Hamas comme organisation terroriste, semblant plutôt renvoyer dos à dos Israël et Hamas dans leur responsabilité des événements, affirmant à la fin du communiqué qu’Israël doit cesser la colonisation. Ce communiqué à été critiqué par de nombreux responsables politiques. Plus tard, la présidente des députés “insoumis” à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, a elle-même refusé de considérer le Hamas comme une organisation terroriste. Pour autant, LFI ne nie pas la gravité des faits du Hamas : le député François Ruffin les qualifie d’ “abomination” dans Le Monde – et n’hésite pas à parler d’une “organisation fanatique, terroriste” –, et Manuel Bompard, de même que Mathilde Panot, n’hésitent pas à les qualifier de “crimes de guerre”.

Le Hamas est-il ou non, en droit, une organisation terroriste ? Qu’est-ce qui se cache derrière le débat sémantique distinguant actes terroristes et crimes de guerre ?

Le Hamas est-il une organisation terroriste ?

Cette qualification dépend en réalité des droits internes des États, ce qui la rend très relative dans l’absolu. L’Union européenne, les États-Unis, le Canada, le Paraguay ou encore bien évidemment Israël qualifient le Hamas d’organisation terroriste. Pour l’Union européenne plus précisément, une position commune des États membres a été prise le 27 décembre 2001, listant parmi les organisations terroristes le Hamas-Izz al-Din al-Qassem, c’est-à-dire la branche terroriste du Hamas. En France, donc, la branche terroriste du Hamas est juridiquement une organisation terroriste, même si le caractère effectivement contraignant d’une position commune peut parfois être relatif.

D’autres États, en revanche, n’ont pas fait ce choix. C’est le cas par exemple de la Norvège, de la Suisse, et en réalité d’un grand nombre de pays dans le monde. Or ne pas classer une organisation comme “terroriste” ne signifie pas qu’on approuve ses actes, mais qu’on se positionne diplomatiquement comme un point de contact possible pour des négociations entre cette organisation et ses ennemis. C’est typiquement le cas de la Norvège au moment des accords d’Oslo de 1993.

Il n’existe pas de définition universelle du terrorisme

Par ailleurs, il n’existe pas de définition universelle du terrorisme en droit international, mais uniquement des textes sectoriels. C’est le cas de la Convention pour la prévention du financement du terrorisme de 1999, ou encore de la Convention pour la répression des attentats terroristes a l’explosif de 1997. L’Union européenne définit un groupe terroriste dans une directive de 2017 comme étant “l’association structurée de plus de deux personnes, établie pour un certain temps et agissant de façon concertée en vue de commettre des infractions terroristes” (article 2). En revanche, elle ne donne que quelques indications pour définir ce qu’est une infraction terroriste, renvoyant pour la définition précise à chaque État membre (article 3).

Pourquoi LFI préfère parler de “crime de guerre” plutôt que d’actes terroristes ?

La qualification de “crimes de guerre” a une importance particulière en droit international car elle ouvre la possibilité d’un procès de ses auteurs devant la Cour pénale internationale (CPI). Inversement, dans la mesure où il n’y a pas de définition internationale précise et commune de ce qu’est une “infraction terroriste”, il est impossible pour la CPI de juger des personnes sur ce seul fondement. La CPI est en revanche compétente en matière de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou encore d’infractions graves au droit international humanitaire, parmi lesquelles on recense les prises d’otages, exécutions de civils et autres exactions susceptibles d’être commises dans le cadre d’une attaque terroriste, etc. Autrement dit, les auteurs d’actes de terrorisme peuvent, dans ce contexte, être jugés en tant que criminels de guerre, mais l’inverse n’est pas forcément possible : des criminels de guerre ne peuvent pas être jugés en tant que ”terroristes” par la CPI.

La qualification de “terrorisme” a en revanche un intérêt dans l’Union européenne, car c’est parce que la branche terroriste du Hamas est qualifiée d’organisation terroriste par le Conseil de l’Union européenne qu’elle peut faire l’objet de sanctions européennes.

Pour qu’il y ait “crime de guerre”, il faut des “combattants”

Le débat se place donc ici plutôt ici autour de la qualification de “crime de guerre”, un crime relevant, rappelons-le, de la compétence de la CPI (article 8 du Statut de la CPI). Il s’agit notamment de savoir si les attaquants du Hamas constituent des “combattants” au sens des conventions de Genève, ou s’ils ne sont que des membres d’une brigade qualifiée de terroriste par l’Union européenne. Les combattants sont définis par ces conventions de 1949 comme étant les membres d’une force armée, c’est-à-dire “toutes les forces, tous les groupes et toutes les unités armés et organisés qui sont placés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés […]” (Protocole aux conventions de 1949, article 43).

Le Hamas n’est certes pas reconnu comme un État alors même qu’il administre la bande de Gaza, mais étant donné la définition d’un “combattant”, la qualification de crime de guerre ou contre l’humanité, tout comme la pertinence du droit international humanitaire dans ce contexte, pourraient être discutées.

Or l’application des conventions de Genève au Hamas semble faire assez peu débat, dans la mesure où l’organisation exerce effectivement l’autorité sur la bande de Gaza et est impliquée dans un conflit armé largement constaté. Savoir si le Hamas est un État ou non au sens des conventions de Genève n’a donc, a priori, pas d’impact majeur sur celle des crimes commis. En 2020, la procureure de la CPI avait d’ailleurs relevé qu’il y avait des raisons de croire que des crimes de guerre avaient été commis par le Hamas dans le cadre des hostilités de 2014. Elle estime en effet “qu’il existait une base raisonnable permettant de croire que des membres du Hamas et de groupes armés palestiniens avaient commis les crimes de guerre ci-après : le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile ou contre des biens civils ; l’utilisation de boucliers humains ; le fait de priver intentionnellement une personne protégée de son droit d’être jugée régulièrement et impartialement et l’homicide intentionnel ; la torture ou le traitement inhumain et/ou les atteintes à la dignité de la personne”.

Mardi 10 octobre 2023, une commission d’enquête des Nations Unies a rendu public un communiqué estimant qu’il y a “des preuves claires que des crimes de guerre ont été commis lors de l’explosion de violence en Israël et à Gaza”. Au regard des témoignages et des preuves qui commencent à être recueillis, il y a peu de doutes en effet que le crime de guerre serait reconnu ici.

L’enjeu juridique et ses conséquences

Un autre enjeu peut être relevé : le refus de la qualification de “terrorisme” place, en droit, les deux parties sur un pied d’égalité. Il ressort de l’actualité que la riposte d’Israël pourrait elle-même donner lieu à des exactions visant directement des civils palestiniens, actes eux-mêmes qualifiables de crimes de guerre. Par ailleurs, la violation du droit international par Israël, et notamment le refus de démanteler le mur en Territoire palestinien occupé et la poursuite de la colonisation de ces terres depuis plusieurs années, a pu être analysée comme constitutive d’un crime de guerre par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Pour résumer, si on se limite à parler de crime de guerre, Israël et le Hamas peuvent être accusés chacun pour leurs actes (l’attaque et la riposte). Si on parle de terrorisme, seul le Hamas est accusé.

Ainsi la notion d’acte terroriste peut être employée en parallèle mais pas à la place de la qualification de “crime de guerre”. Les deux expressions ne sont pas juridiquement exclusives l’une de l’autre : il s’agit d’une position plutôt diplomatique que juridique. Juger les auteurs sera dans tous les cas possibles. Communiquer en vue de la paix est néanmoins plus difficile si on s’exprime uniquement en termes d’actes terroristes.

Il faut ajouter un dernier point : la qualification de “crime contre l’humanité” pourrait bien elle aussi être étudiée par la justice internationale.

Mise à jour vendredi 13 octobre 2023 à 00h23 : correction de la date des conventions de Genève.

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