Capture d'écran d'un compte Instagram

Manifestation à Sciences Po : le symbole des mains rouges fait-il référence à un “appel au meurtre” ?

Création : 30 avril 2024
Dernière modification : 13 mai 2024

Auteur : Nicolas Kirilowitz, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier

Source : Compte Instagram, 27 avril 2024

Si la référence à un événement sanglant de l’an 2000, survenu en Cisjordanie, ne peut être écartée, elle ne peut pas non plus être attestée, contrairement à ce qu’indique un post sur Instagram largement relayé et commenté.

S’ils puisent leur force dans les images, les symboles, surtout en temps de conflit, ont pour défaut leur possible manipulation à des fins idéologiques.

Ainsi, depuis quelques jours, les débats font rage sur les réseaux sociaux pour savoir si les étudiants qui se sont peints, vendredi 26 avril, les mains en rouge lors d’une manifestation en soutien à la Palestine devant les locaux parisiens de Sciences Po, ont souhaité faire référence, ou non, à un événement tragique : le lynchage de deux soldats israéliens survenu 24 ans plus tôt à Ramallah en Cisjordanie.

Accuser, contester

Parmi le flot de publications, l’une d’entre elles a interpellé Les Surligneurs. Il s’agit d’un post partagé sur Instagram par le journaliste David Benaym. Selon lui, la référence mémorielle aux événements en Cisjordanie ne fait aucun doute. Convaincu, il a même relayé un photomontage qu’il a réalisé personnellement, comme il l’indique à notre rédaction.

Sur ce dernier, deux clichés sont accolés. Le premier, finaliste du prix Pulitzer, a été pris lors du lynchage des deux militaires israéliens en 2000. On y voit un jeune Palestinien tendant ses mains couvertes du sang d’un soldat israélien sous les applaudissements de la foule. C’est à cette photo que se réfère David Benaym pour accuser, sur Instagram, les étudiants de Sciences Po d’user de la “symbolique d’appel au meurtre.

Le second cliché est accompagné d’une capture d’écran d’un live TikTok effectué lors de la manifestation du 26 avril où l’on voit les étudiants les mains peintes en rouge. “C’est une mise en perspective historique” explique le journaliste aux Surligneurs au sujet de son montage.

“Honteusement modifié”

Néanmoins, cette perception de l’action menée devant l’emblématique école parisienne n’est pas partagée par tout le monde. Et notamment, par l’un des acteurs majeurs de cette polémique : l’auteur de la vidéo.

Contacté par Les Surligneurs, José Rexach, reporter pour le média Blast, confirme que “le sang que l’on voit sur les mains est là pour dénoncer les femmes, les enfants morts à Gaza et les mains sales du gouvernement israélien.” Rien à voir, selon lui, avec une référence aux meurtres des soldats israéliens, 24 ans plus tôt.

Une information qu’il assure par ailleurs avoir vérifiée une nouvelle fois ce lundi auprès de plusieurs personnes impliquées dans le mouvement de blocage. “Le contexte de ces images a été largement et honteusement modifié sur les réseaux sociaux“, dénonce-t-il.

Un symbole, plusieurs utilisations

Un rejet sans équivoque donc et qui supplée les précisions partagées dans la presse par l’un des membres du Comité Palestine de Sciences Po, Hubert Launois. Ce dernier rappelait, dimanche 28 avril, sur CheckNews que “Le symbole des mains rouges, c’est un symbole commun pour dénoncer le fait que quelqu’un, ou qu’une institution, a du sang sur les mains. Il signifie qu’on dénonce une complicité de crimes, un laisser-faire, et c’était tout notre propos. Ce symbole est largement utilisé dans les manifestations occidentales, notamment par des militants écolos, ou même à l’ONU, par des diplomates.”

En effet, l’ONU utilise une affiche présentant une main ensanglantée, à l’occasion de la journée internationale de la main rouge, organisée chaque année le 12 février, pour dénoncer l’utilisation de mineurs au sein d’organisations militaires.

Un argumentaire corroboré par le site Internet lui-même de l’organisation internationale et dans de nombreux articles de presse, la preuve ici et , ou encore par ce reportage de France 24, publié dimanche sur le ras-le-bol des familles israéliennes presque sept mois après l’enlèvement de leurs proches par le Hamas.

De son côté, David Benaym, l’auteur de la publication, veut “bien croire que les étudiants ne connaissaient pas la référence historique. Néanmoins, cela me semble problématique quand on est à Sciences Po.” Et de s’interroger ironiquement : “Les étudiants qui se sont peints les mains devant la Sorbonne lundi, n’étaient-ils pas au courant non plus ?“, dit-il en référence à une autre manifestation étudiante en soutien à la Palestine organisée le 29 avril. Également présent sur place, le reporter José Rexach répète que “l’intention n’a jamais été celle-ci.

Ainsi, si l’utilisation des mains peintes en rouge peut être jugée maladroite par certains, accuser les étudiants de Sciences Po de faire référence à une “symbolique d’appel au meurtre“, l’est, sans doute, tout autant.

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