Lutte contre la désinformation : l’Union européenne annonce de nouvelles obligations pour les plateformes numériques
Dernière modification : 21 juin 2022
Autrice : Marie Jacquemard, rédactrice
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Charles Denis et Emma Cacciamani
La Commission européenne a dévoilé jeudi 16 juin un nouveau Code contre la désinformation, censé mieux contraindre les plateformes numériques à lutter contre la désinformation
Que se passerait-il si le milliardaire Elon Musk, propriétaire de Tesla prônant une liberté d’expression absolue, rachetait Twitter comme il en a l’ambition ? On pourrait craindre un retour en arrière dans les efforts faits pour lutter contre la désinformation. Pour éviter ce scénario, et surtout pour aller encore plus loin, la Commission européenne a annoncé ce jeudi 16 juin la publication d’une nouvelle version du Code de bonnes pratiques sur la désinformation. Après plus d’un an de négociations, les signataires du code se sont mis d’accord sur une quarantaine d’engagements pour lutter plus efficacement contre un phénomène qui menace les fondements de la démocratie.
Un constat : la désinformation est une menace croissante pour les démocraties européenne
Selon la Commission européenne, 83 % des citoyens de l’Union pensent que la désinformation menace la démocratie. Elle constate que la désinformation atteint des piliers de la démocratie telle que les élections, la confiance dans les institutions et les médias mais aussi des atteintes à la liberté d’expression. La crise du Covid 19 n’a fait qu’accentuer ce problème, notamment en favorisant la circulation des théories complotistes. Lorsque BioNTech a découvert le vaccin qui sera commercialisé par Pfizer, l’agence Faze, en lien capitalistique avec la Russie, a tenté de décrédibiliser et dénigrer cette découverte. On a aussi vu circuler sur internet des images de convois militaires laissant croire que l’armée allait être déployée pour faire respecter le couvre feu.
L’implication de l’Union européenne dans la lutte contre la désinformation avec l’élaboration d’un Code de bonnes pratiques sur la désinformation
L’Union européenne a donc décidé d’organiser une véritable riposte contre l’ampleur de ce phénomène. Dans un premier temps l’Union avait essayé d’endiguer la désinformation avec ce qu’on appelle du droit souple, c’est-à-dire des mesures non contraignantes, censées être incitatives. Le Code de bonne conduite contre la désinformation, datant de 2018, faisait partie de ce “droit souple”. Il a pu donner quelques bons résultats en incitant Facebook, ou bien d’autres, à mettre en place des mesures pionnières pour faire reculer l’influence des “fake news” en ligne. La Commission européenne a aussi créé une cellule dédiée à la riposte contre la propagande venue essentiellement de Russie, dont la face publique est le site EU vs Disinfo. Mais ces outils se sont révélés insuffisants, et les rapports de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) sont chaque année plus alarmants sur le phénomène.
Les enjeux du nouveau Code de bonnes pratiques sur la désinformation : des mesures désormais contraignantes
Ce jeudi 16 juin, quatre ans après son élaboration, ce Code a été renforcé suite à de nombreuses négociations, auxquelles les plateformes internet et certains fact-checkers ont pris part. La liste des signataires s’est par ailleurs allongée avec la plateforme Twitch et Whatsapp par exemple et d’autres devraient encore signer. Il incite les plateformes numériques à prendre des engagements concrets et effectifs mais aussi à améliorer leur politique en ligne. Le but est de responsabiliser entre autres les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) mais aussi les utilisateurs. Ceux-ci auront accès à des outils pour vérifier les sources grâce à la collaboration des médias de vérification des faits et la possibilité de signaler et d’alerter sur la présence de potentielles “fake-news”.
Le renforcement de ce Code “arrive à point nommé” selon Věra Jourová, vice-présidente de la Commission européenne chargée des valeurs et de la transparence. La Russie a fait de la désinformation une arme supplémentaire dans sa guerre contre l’Ukraine.
Au cœur de ces mesures, les trente-quatre signataires se sont engagés à devenir un véritable soutien financier et technique des fact-checkers. En pratique, ils leur permettront d’avoir accès à leur base de données grâce à des interfaces pour accéder plus facilement et rapidement aux informations nécessaires. Ils devront renforcer le contrôle sur le contenu monétisé de la publicité et respecter les référentiels prévus pour les publicités politiques. À ce sujet, le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, souhaite que “personne ne [puisse] retirer le moindre euro de la propagation d’éléments de désinformation“. Afin de permettre une meilleure compréhension par les citoyens européens des pratiques de manipulation interdites telles que les deepfakes ou l’usurpation d’identité, les signataires devront se conformer à la loi européenne sur l’intelligence artificielle, un texte néanmoins encore en discussion.
L’effectivité du Code de bonnes pratiques sur la désinformation
Ce nouveau dispositif repose encore sur l’autorégulation des plateformes et s’inscrit dans la lignée de la loi sur les services numériques (ou DSA, pour son acronyme en anglais). Cette législation européenne va imposer d’ici 2 ans aux très grandes plateformes en ligne, c’est-à-dire celles comptant au moins 45 millions d’utilisateurs dans l’Union européenne – Facebook, Twitter, TikTok, Youtube, Spotify et bien d’autres sont concernés –, d’atténuer les risques de diffusion de contenus illicites. Le DSA doit encore être formellement adopté par le Parlement européen et le Conseil, qui doivent se mettre d’accord sur une version définitive du texte.
Un Comité européen pour les services numériques sera chargé de contrôler le respect de ces règles. L’article 35 du texte encourage fortement les plateformes en ligne à signer le nouveau Code de bonnes pratiques contre la désinformation, car il constitue un moyen, pour elles, de lutter contre la désinformation et donc de respecter le DSA. En pratique, si elles ne respectent pas les mesures auxquelles elles ont adhéré, elles s’exposent à de très lourdes amendes pouvant aller jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial. Pour le réseau social très prisé des jeunes TikTok, cela pourrait représenter jusqu’à 3,5 milliards d’euros. L’objectif est tout autant répressif que dissuasif et les signataires auront 6 mois pour mettre en œuvre leurs engagements.
Ce Code s’adresse également aux organisations de fact-checking. Elles peuvent en être signataires si elles s’engagent à respecter des règles de transparence, d’indépendance et d’éthique, comme nombre d’entre elles le font déjà en étant signataires du Code des principes de l’International Fact-checking Network (IFCN) comme, en France, le quotidien Libération, France 24, l’AFP ou encore Les Surligneurs. C’est aussi pour assurer la transparence que de plus en plus de médias, comme Les Surligneurs, rejoignent, la Journalism Trust Initiative lancée par Reporter Sans Frontière.
Pour les fact-checkeurs européens, les engagements pris par les plateformes signataires du Code ne devront pas rester que des mots, un groupe de travail sera chargé de s’en assurer. Ce Code, s’il est bien sûr indispensable, n’est qu’une nouvelle bataille gagnée contre la désinformation, d’autres restant encore à mener.
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