Belgique : Le vaccin obligatoire pour le personnel soignant et des maisons de repos ? Seulement si c’est prévu par une loi

Création : 20 juillet 2021
Dernière modification : 22 juin 2022

Autrice : Marie-Sophie de Clippele, professeure invitée à Université Saint-Louis, Bruxelles

Plusieurs politiciens, ainsi que certains représentants dans le secteur hospitalier, ou encore le Commissaire du gouvernement en charge de la crise du Covid, songent à rendre le vaccin obligatoire pour le personnel soignant et des maisons de repos. On comprend la crainte d’une recrudescence du Covid-19 et du risque que cela présenterait pour les patients et les résidents, même si la majorité d’entre eux est vaccinée. Toutefois, l’obligation vaccinale reste l’exception : aucun vaccin ne peut être imposé, sauf par la loi, et à certaines conditions.

Seule la loi peut imposer une vaccination…

Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Belgique adopte une loi sanitaire du 1er septembre 1945 qui admet que le Gouvernement puisse imposer des mesures sanitaires en cas de maladies transmissibles présentant un danger général, notamment par l’obligation vaccinale. Le cas le plus connu de vaccin obligatoire est celui du vaccin antipoliomyélitique (la polio), imposé aux enfants entre 2 et 18 mois en vertu de l’arrêté royal du 26 octobre 1966. Par ailleurs, le Code du bien-être au travail de 2017 admet trois cas de vaccinations obligatoires dans le cadre des relations travail si les travailleurs sont exposés à différents risques de contamination (tétanos, tuberculose, hépatite B). Enfin, l’arrêté royal du 29 octobre 1964 relatif à la police sanitaire du trafic international – qui rend obligatoire le Règlement sanitaire international de l’OMS de 1951 – permet également d’imposer aux voyageurs entrant en Belgique d’exiger la preuve de leur vaccination contre certaines maladies. Cet arrêté royal a été l’une des bases utilisées par le Gouvernement belge lors de la gestion de la pandémie liée au COVID-19.

…mais sous certaines conditions…

Dans chacune de ces réglementations, l’impératif de santé publique prend le dessus sur des considérations liées au droit au respect de la vie privée, protégé par l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Très récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a examiné cette mise en balance entre le droit au respect de la vie privée et la nécessité de protéger la santé publique dans l’arrêt Vavřička et autres c. République tchèque du 8 avril 2021. La Cour souligne que”la vaccination obligatoire, en tant qu’intervention médicale non volontaire, constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée” (paragraphe 263). Cette ingérence doit donc être

1/ prévue par la loi, (comme la loi belge du 1er septembre 1945 ou comme les arrêtés royaux de 1964 et 1966),

2/ légitime (poursuivre l’objectif légitime de protection de la santé publique),

3/ et proportionnée, c’est-à-dire nécessaire dans une société démocratique.

Dans le cas tchèque, la Cour conclut que le vaccin pouvait être rendu obligatoire, dans la mesure où cette obligation, une ingérence dans la vie privée, a pu être considérée nécessaire dans une société démocratique. Mais qu’en est-il de la proposition de politiciens belges pour le vaccin COVID-19 à l’égard du personnel soignant et de maisons de repos ?

Comme le précise le Comité de bioéthique dans son avis du 14 décembre 2015 relatif aux aspects éthiques de l’obligation de vacciner, l’obligation de vacciner doit rester l’exception et se limiter à des cas de maladies contagieuses pour lesquelles il n’existe pas de traitement curatif. Selon le Comité, une telle obligation ne devrait être prévue que par une loi (comme celle du 1er septembre 1945), et sa nécessité doit être revue périodiquement. Enfin, le Comité préconise que le législateur “devrait mieux régler l’indemnisation d’effets secondaires préjudiciables” : si le citoyen solidaire se plie à l’obligation de se vacciner, cette solidarité collective qui lui est imposée implique également que l’État doit intervenir si ce citoyen subit des effets secondaires néfastes, et que l’État indemnise son dommage.

 … qui dans le cas présent sont réunies

En d’autres mots, si l’appel lancé par plusieurs politiciens est entendu, il devrait se traduire par l’adoption d’une loi imposant le vaccin au personnel soignant et des maisons de repos. Il pourrait être admis, si on reprend l’arrêt tchèque de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’on passe par arrêté royal (le pouvoir exécutif fédéral), pris en vertu de la loi du 1er septembre 1945. Le passage par un arrêté royal pourrait davantage susciter des discussions car l’article 22 de la Constitution exige plutôt l’adoption d’une loi formelle devant le Parlement, là où l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme admet aussi d’autres formes légales, comme un arrêté royal. La loi ou l’arrêté royal devrait également veiller à motiver dans quelle mesure cette obligation est nécessaire pour assurer l’impératif de protection de la santé publique.

Enfin, détail important, la compétence pour l’adoption d’une telle loi ou arrêté revient au pouvoir fédéral, comme le rappelle la section de législation du Conseil d’État du 16 juin 2021. Le Conseil supérieur du travail n’aurait d’ailleurs aucune compétence en la matière, malgré ce que semble suggérer le ministre bruxellois de la Santé, Alain Maron.

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