Crédits photo : Cancillería del Ecuador (CC 2.0)

Jean-Luc Mélenchon : “si nous acceptions de caractériser comme terroriste une action de guerre, nous la soustrairions au droit international”

Création : 13 octobre 2023

Auteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, centre Versailles Institutions Publiques, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucun

Auteur : Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public, chercheur au CREDIMI et au CEDIN, secrétaire général adjoint du Réseau francophone de droit international

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucun

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, centre Versailles Institutions Publiques, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucun

Source : BFMTV, 11 octobre 2023 à 20h09

Il est tout à fait possible de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, sans les soustraire aux droit international, notamment à des poursuites par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre.

La polémique se poursuit sur le refus de certains membres de la France insoumise de qualifier le Hamas d’organisation terroriste. Lors d’une allocution mercredi 11 octobre 2023, Jean-Luc Mélenchon a précisé sa position :

Si j’avais à gouverner la France, je n’utiliserais pas ce vocabulaire […]. Pourquoi ? […] Parce que si nous acceptions de caractériser comme terroriste une action de guerre, nous la soustrairions au droit international. Le droit international ne prévoit aucune dénomination de caractère terroriste”.

Pour le président de la France insoumise, reconnaître que le Hamas est une organisation terroriste, ou même que ses actes en Israël sont des actes terroristes, empêcherait de les traduire devant la justice pour crimes de guerre.

Or c’est faux, et il est possible d’utiliser les deux qualifications.

Tout d’abord, l’Union européenne, les États-Unis, le Canada, le Paraguay ou encore bien évidemment Israël qualifient le Hamas d’organisation terroriste, ce qui ne les empêchera pas d’aller plaider contre le Hamas devant la Cour pénale internationale (CPI). En tout cas, cela n’a pas empêché la Procureure de la CPI de considérer, en 2019, que le Hamas s’était rendu coupable de crimes de guerre en 2014. Pour l’Union européenne plus précisément, une position commune des États membres a été prise le 27 décembre 2001, listant parmi les organisations terroristes le Hamas-Izz al-Din al-Qassem, c’est-à-dire la branche terroriste du Hamas.

D’autres États, en revanche, n’ont pas fait ce choix. C’est le cas par exemple de la Norvège, de la Suisse, et en réalité d’un grand nombre de pays dans le monde. Or ne pas classer une organisation comme “terroriste” ne signifie pas qu’on approuve ses actes, mais qu’on se positionne diplomatiquement comme un point de contact possible pour des négociations entre cette organisation et ses ennemis. C’est typiquement le cas de la Norvège au moment des accords d’Oslo de 1993.

Pourquoi LFI préfère parler de “crime de guerre” plutôt que d’actes terroristes ?

La qualification de “crimes de guerre” a une importance particulière en droit international car elle ouvre la possibilité d’un procès de ses auteurs devant la Cour pénale internationale (article 8 du Statut de la CPI). Mardi 10 octobre 2023, une commission d’enquête des Nations Unies a rendu public un communiqué estimant qu’il y a “des preuves claires que des crimes de guerre ont été commis lors de l’explosion de violence en Israël et à Gaza”. Au regard des témoignages et des preuves qui commencent à être recueillis, il y a peu de doutes en effet que le crime de guerre serait reconnu ici.

Inversement, dans la mesure où il n’y a pas de définition internationale précise et commune de ce qu’est une “infraction terroriste”, il est impossible pour la CPI de juger des personnes sur ce seul fondement. La CPI est en revanche compétente en matière de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou encore d’infractions graves au droit international humanitaire, parmi lesquelles on recense les prises d’otages, exécutions de civils et autres exactions susceptibles d’être commises dans le cadre d’une attaque terroriste, etc. Autrement dit, les auteurs d’actes de terrorisme peuvent, dans ce contexte, être jugés en tant que criminels de guerre.

Il est possible de qualifier de terroristes des actes relevant en même temps de crimes de guerre

En réalité, le refus de la qualification de “terrorisme” place, en droit, Israël et Hamas sur un pied d’égalité. Il ressort de l’actualité que la riposte d’Israël pourrait elle-même donner lieu à des exactions visant directement des civils palestiniens, actes eux-mêmes qualifiables de crimes de guerre. Par ailleurs, la violation du droit international par Israël, et notamment le refus de démanteler le mur en Territoire palestinien occupé et la poursuite de la colonisation de ces terres depuis plusieurs années, a pu être analysée comme constitutive d’un crime de guerre par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Pour résumer, si on se limite à parler de crime de guerre, Israël et le Hamas peuvent être accusés chacun pour leurs actes (l’attaque et la riposte). Si on parle de terrorisme, seul le Hamas est accusé. En droit, il y a bien une différence entre les deux approches.

Néanmoins, contrairement à ce qu’affirme Jean-Luc Mélenchon, la notion d’acte terroriste peut être employée en parallèle de la qualification de “crime de guerre”. Les deux expressions ne sont pas juridiquement exclusives l’une de l’autre : il s’agit d’une position plutôt diplomatique que juridique. Juger les auteurs sera dans tous les cas possibles.

Reste que les actes du Hamas risquent d’être aussi qualifiés de crimes contre l’humanité.

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