Jean-Louis Masson propose d’interdire aux auteurs de crimes ou de délits et à leurs ayants droit de se porter partie civile contre leurs victimes ou contre les forces de l’ordre

Création : 2 février 2023

Autrice : Marie-Sarah Beherlet, master de droit pénal approfondi, Université de Lorraine

Relecteurs : Jean-Baptiste Thierry, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université de Lorraine

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Héreng Loïc et Emma Cacciamani



Source : Sénat, 03 janvier 2023

Le droit de se constituer partie civile n’est pas protégé en tant que tel par la Constitution ou la Convention européenne des droits de l’homme, tant que les autres recours sont préservés, notamment celui tendant à obtenir des dommages-intérêts. C’est aussi le cas pour un agresseur à l’égard de sa victime qui riposte sans être en légitime défense.

En l’état actuel du droit, l’auteur d’une agression (ou sa famille s’il est décédé) peut demander réparation des préjudices qu’il a subis lorsque sa victime a riposté sans pour autant être en état de légitime défense. Trouvant cette situation injuste, le sénateur Jean-Louis Masson a déposé le 03 janvier 2023 une proposition de loi visant à interdire aux auteurs de crimes ou de délits (et à leurs ayants droit s’ils sont décédés) de se constituer partie civile contre leurs victimes ou contre les forces de l’ordre. Cette proposition de loi pose, en droit, la question du respect au droit à un recours juridictionnel effectif, valable pour toute personne.

Le droit à un recours juridictionnel effectif : un droit protégé par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme

Le droit à un recours juridictionnel effectif est le droit pour toute personne de saisir un juge pour garantir la protection concrète de ses droits et libertés. Par exemple, il peut s’agir de la saisine d’un juge pour faire cesser une situation dommageable dont elle est victime, ou d’obtenir du même juge, à défaut, une indemnisation suffisante.
Ce droit est tout d’abord consacré par la Convention Européenne des Droits de l’Homme  qui dispose que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. Dans une décision de 1975, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a par ailleurs déduit d’un article de sa Convention que toute personne a un droit d’accès à un tribunal en vue d’une décision sur ses droits et obligations de caractère civil.
Le droit à un recours juridictionnel est également protégé par la Constitution. Elle consacre notamment le droit à un recours juridictionnel effectif devant un juge indépendant et impartial dans le respect des droits de la défense. Il résulte de ce droit que toute personne doit pouvoir saisir un juge pour qu’il soit statué sur une atteinte à l’un de ses droits.

Une proposition de loi ne violant pas le droit à un recours juridictionnel effectif

La proposition de loi de Jean-Louis Masson empêcherait uniquement de se constituer partie civile, c’est-à-dire d’empêcher une personne qui s’estime victime d’un crime ou d’un délit de saisir un juge pénal et demander la réparation de son préjudice. Seule la voie pénale serait donc fermée. Le plaignant conserverait le droit d’effectuer un recours indemnitaire (autrement dit demander une indemnisation) devant le juge civil ou devant le juge administratif, dans l’hypothèse où l’auteur du dommage serait un fonctionnaire. En conséquence, la victime ne serait pas privée de tout recours juridictionnel lui permettant d’obtenir satisfaction. Cette règle existe déjà sous le nom “Electa una via” (“choisis ton recours”) et empêche de saisir le juge pénal dans quelques circonstances particulières.
De plus, il existe déjà des cas où la voie pénale de l’action civile est fermée, notamment en matière de délits commis à l’étranger. Cette disposition a été validée par le Conseil constitutionnel qui a estimé que les victimes peuvent obtenir réparation du dommage causé par ces délits devant le juge civil.
De cette manière les individus concernés ne seraient pas privés de leur droit à un recours juridictionnel : ils pourraient en effet toujours agir contre les personnes responsables de leur dommage.

En somme, cette proposition de loi serait constitutionnelle à la condition que le droit pour les auteurs d’infractions d’obtenir réparation des préjudices qu’ils auraient subi continue d’exister.

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