Crédits photo : European Parliament (CC 2.0)

La réforme de notre système de retraite serait une “exigence” de l’Union européenne “en contrepartie du plan de relance”

Création : 31 janvier 2023

Auteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani

Source : BFMTV, 24 janvier 2023

Aucune recommandation n’impose à la France de réforme du système des retraites pour toucher les aides du plan de relance européen. Et pour réduire le déficit du budget de l’État, d’autres solutions existent.

Sur BFMTV dans un débat qui l’opposait à Olivier Véran, le porte-parole du Gouvernement, et Mathilde Panot, chef de file de la France insoumise à l’Assemblée nationale, Jordan Bardella a répété une idée reçue assez répandue ces derniers mois : la réforme des retraites serait imposée par l’Union européenne. 

Pour le président du Rassemblement national, “Si on en vient à faire la réforme des retraites aujourd’hui (…) c’est parce que c’est une exigence de la Commission européenne. C’est une exigence que de réformer notre système de retraite qui est formulée par l’Union européenne qui était la contrepartie du plan de relance qui a été octroyé à la France par les institutions européennes après la crise sanitaire”. Une affirmation aussi d’un économiste sur TV Liberté le 14 janvier, ou encore de la députée RN Laure Lavalette. Sauf que la réalité est bien différente.

Il est vrai que l’Union européenne, par la voix du Conseil (le Conseil réunit les ministres des 27 États membres), a recommandé dès 2019 à la France de “réformer le système de retraite pour uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite, en vue de renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes” (voir page 8, paragraphe 1 de la recommandation). S’il est bien fait mention de la fusion des régimes de retraite, le recul de l’âge légal n’est, lui, pas mentionné. Mais trois remarques tempèrent sérieusement le raccourci selon lequel l’Union européenne serait à l’origine de l’actuelle réforme des retraites. 

La réforme des retraites n’a aucunement été exigée pour obtenir les fonds européens du plan de relance

Tout d’abord, la recommandation du Conseil de 2019 est en réalité une reprise de la promesse d’Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017 (page 7 du programme du candidat). Le gouvernement français, à l’occasion d’un cycle annuel qu’on appelle le “Semestre européen” (période d’échanges entre les 27 pour coordonner leurs  politiques économiques), a donc fait savoir à la Commission européenne puis au Conseil de l’Union européenne qu’il souhaitait fusionner les différents régimes de retraite.

Cette promesse de campagne fut simplement reprise dans la recommandation de 2019. Avant lui, François Hollande avait fait de même, en faisant ajouter dans la recommandation adressée à la France qu’une éventuelle réforme se ferait en consultant les partenaires sociaux. Une manière de dire qu’il ne poursuivrait pas la politique de Nicolas Sarkozy. Et lorsqu’en 2014 le Conseil recommande à la France de geler les retraites et de créer un comité de suivi des retraites pour surveiller le déficit du système… il s’agit de mesures déjà prises pendant la présidence de François Hollande. Les recommandations du Conseil comportent donc en réalité un grand nombre de propositions venues des gouvernements eux-mêmes. Il y a parfois même des cas où les recommandations ne reprennent pas toutes les propositions de la France. 

En revanche, en 2021 lorsque la France a transmis son programme de réformes en vue d’obtenir les fonds du plan de relance européen, elle avait mentionné son souhait de fusionner les régimes de retraite. Une proposition qui n’a pas été reprise par le Conseil de l’Union européenne. Dans sa recommandation du 5 juillet 2021 qui permet à la France de recevoir les 40 milliards d’aides européennes pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire – le plan Next Generation EU –, le Conseil ne fait à aucun moment référence à une réforme des retraites. La Commission européenne ne pourrait donc pas suspendre ses versements si la France ne réformait pas son système des retraites.

En tout état de cause les recommandations du Conseil ne sont pas contraignantes

Ensuite, les recommandations du Conseil de l’Union européenne ne sont pas contraignantes. Le Conseil peut bien coordonner les politiques économiques via les “grandes orientations de politiques économiques” (connues aussi sous l’acronyme GOPE), comme le prévoit l’article 5 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, mais ces orientations ne sont pas contraignantes, comme le prévoit cette fois l’article 288 du même traité

Enfin, une telle réforme n’est pas le seul moyen de réduire le déficit public français. Ce déficit devrait s’établir autour de 5 % en 2022, contre 6,4 % en 2021 et 8,9 % en 2020, du fait de la pandémie. Il se rapprocherait donc des 3 %, comme l’exige le droit de l’Union européenne. Mais d’une part la France n’est pas en procédure de déficit excessif donc ne risque pas de rappel à l’ordre de l’Union européenne à court terme. Et d’autre part rien n’oblige la France à mettre en œuvre cette réforme-là pour réduire son déficit. Elle peut tout à fait emprunter d’autres voies : augmenter les prélèvements sociaux ou les impôts, réduire d’autres dépenses, améliorer la croissance. Décider d’une politique économique reste donc largement du ressort de la majorité au pouvoir en France.

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