De l’importance de la propagande électorale… et de ses dysfonctionnements dans une démocratie
Dernière modification : 22 juin 2022
Autrice : Ludivine Poulet, master politiques de coopération internationale, Sciences Po Saint-Germain
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit, Université Paris-Saclay
Après les élections régionales et départementales de ce dimanche, un vent de scandale anime la classe politique. En cause, les dysfonctionnements qui ont affecté la distribution de la propagande électorale et des professions de foi des candidats dans plusieurs régions. Tracts et programmes ont été retrouvés brûlés, ou dans des poubelles, parfois distribués plusieurs fois dans une même boîte aux lettres, quand dans le même temps certains électeurs n’ont jamais reçu les professions de foi. Les uns mettent en cause le ministre de l’Intérieur, M. Gérald Darmanin, chargé de l’organisation des élections, tandis que les autres pointent du doigt la société privée Adrexo chargée d’une partie de la distribution avec la Poste.
“La propagande électorale”, qu’est-ce que c’est ?
Par l’expression “propagande électorale”, le Code électoral désigne les tracts, programmes et bulletins que les électeurs reçoivent directement dans leur boîte aux lettres. Cette technique de communication peut sembler désuète, mais elle reste chère à beaucoup d’électeurs. Le Code électoral dédie tout un chapitre à la propagande en temps de campagne. Bien que la notion de “propagande” ait de nos jours une connotation péjorative, le droit électoral l’a conservée pour régir ce mode d’information des électeurs sur l’idéologie et les programmes des candidats. C’est un principe d’équité qui garantit le bon déroulement de la propagande électorale. Un exemple montrant le degré de détail de la réglementation, les articles R29 et R30 du Code électoral, prévoient un format unique que chaque candidat doit respecter pour ses bulletins, imprimés en une seule couleur sur papier blanc, d’un grammage et d’une taille pré-déterminés pour les programmes, ces professions de foi d’un format de 210 mm x 297 mm. La propagande électorale est donc encadrée par des règles qui garantissent l’équité et la loyauté des contenus, de la création à l’impression. Ensuite, dans chaque circonscription électorale est désignée une commission de propagande qui a pour mission selon le Code électoral d’adresser à chaque électeur une profession de foi et un bulletin de vote pour chaque candidat, binôme de candidats ou liste, et d’envoyer dans chaque mairie de la circonscription les bulletins de vote. La commission gère donc les envois de la propagande grâce au préfet qui lui fournit le matériel nécessaire. Le Code électoral prévoit aussi le remboursement des frais des candidats par l’État (sous certaines conditions) ainsi que la prise en charge du fonctionnement des commissions. S’agissant de la distribution, la Poste avait jusqu’à récemment le monopole de cette mission. Mais ce monopole a été supprimé et la Poste a dû partager : l’entreprise privée Adrexo a remporté un appel d’offres pour la prise en charge de la distribution de la propagande électorale dans 51 départements. Aujourd’hui, c’est la mauvaise distribution des professions de foi qui est en cause.
Quel impact sur le scrutin ces dysfonctionnements ont-ils pu avoir ?
Le cœur de la polémique actuelle consiste à déterminer l’éventuel impact des dysfonctionnements constatés sur les résultats du scrutin. Certains élus ont attribué une partie de l’abstention record aux dysfonctionnements dans la distribution. Ainsi, la sénatrice Nathalie Goulet a déclaré “J’en suis certaine. Beaucoup de gens préparent leur vote avec les professions de foi qu’ils ont reçues”. Le sénateur Cédric Perrin ajoute : “si je prends l’exemple de mon canton, le taux de participation s’élève à 28 %. Or, dans la commune où ont été retrouvés les imprimés brûlés, le taux de participation descend à 22 %”. Il y aurait donc corrélation entre les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale et le taux d’abstention. Résultat : l’égalité entre les candidats n’aurait pas été respectée dans toutes les régions et le système démocratique en sortirait affaibli car ces dysfonctionnements n’auraient pas permis une “participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation” comme le prévoit la Constitution (article 3 alinéa 4). En réalité, il semble que tous les partis aient pâti de la même façon de ces dysfonctionnements, qui n’étaient en rien ciblés mais totalement aléatoires.
Que se passerait-il en cas de recours déposé par les candidats ou les électeurs des communes ayant subi des dysfonctionnements ? Il faudrait prouver, commune par commune ou département par département, que les dysfonctionnements ont été tels qu’ils ont pu altérer la régularité du scrutin en défavorisant tel ou tel candidat. Ce n’est pas exclu, mais dans l’immense majorité des cas, le caractère sporadique des dysfonctionnements empêchera le juge d’y voir une influence décisive sur le vote. D’autant que les professions de foi ne représentent qu’un aspect de communication parmi d’autres, et que tout électeur qui s’informe était à même de connaître les programmes par d’autres voies. S’agissant des distributeurs, La Poste et Adrexo, une sanction est envisageable, par la non-reconduction de leur contrat de distribution. Mais encore faudra-t-il trouver d’autres distributeurs. En effet, la Poste par exemple, dispose d’un fichier très détaillé sur les adresses comprenant aussi les nouvelles arrivées ou départs dans une commune ; en outre, elle emploie des postiers de métier. Un appel d’offres destiné à diversifier les entreprises de distribution se heurterait au fait que peu d’opérateurs aient la capacité de remplir cette mission. Beaucoup d’élus ont ainsi remis en cause la délégation d’un service public à Adrexo, une entreprise privée. Le sénateur socialiste du Loiret Jean-Pierre Sueur a réagi sur le sujet “S’il y a bien une mission de service public, c’est celle-là. Les postiers ont toujours considéré la distribution des professions de foi comme quelque chose d’essentiel. Mais force est de constater que depuis que l’on a délégué à une entreprise privée, les choses ne se déroulent plus aussi bien”.
On retiendra de cette affaire qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance de la propagande électorale dans notre système démocratique. Si les dysfonctionnements durant les élections ne semblent pas avoir d’impact majeur sur le scrutin, c’est surtout un symbole de démocratie électorale qui a été malmené.
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