Blocus de Sciences Po : François-Xavier Bellamy (LR) demande de “stopper les financements publics” de l’établissement
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Relectrice : Pascale Bertoni, maître de conférences HDR en droit public à l’Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction: Aya Serragui
Source : Le Figaro, 30 avril 2024
Les financements publics de Sciences Po représentent un gros tiers des ressources de l’établissement, qui est un établissement public en charge d’un service public. Pour stopper ces financements, il faut renoncer au service public et au contrôle de l’Etat, et Sciences Po deviendrait une université libre privée, financée uniquement par les frais de scolarité et les mécènes.
Face aux troubles qui caractérisent Sciences Po en lien avec la guerre de Gaza, et aux atermoiements de la direction sur l’attitude à adopter, certaines personnalités politiques s’indignent, et notamment François Bellamy, député européen et tête de liste LR aux élections européennes, qui propose de couper les financements publics de cette grande école. Rien de moins évident, s’agissant d’un établissement en charge d’un service public, opérateur public de l’État.
Le statut de Sciences Po
“Sciences Po” est une marque déposée, qui désigne l’ensemble formé par la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), une personne morale de droit privé sous forme de fondation reconnue d’utilité publique), et l’Institut d’études politiques (IEP), personne morale de droit public sous forme d’établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel.
Le FNSP, créée en 1945, est chargée de reprendre le patrimoine de l’ancienne École libre des sciences politiques. Actuellement régie par les
articles L. 758-1 et suivants du code de l’éducation, “elle assure la gestion administrative et financière de l’Institut d’études politiques de Paris. Elle fixe notamment les moyens de fonctionnement de l’institut et les droits de scolarité pour les diplômes propres à l’institut”. Le décret du 19 décembre 2015 ajoute : elle “détermine (…) notamment les droits de scolarité pour les diplômes propres à l’institut, ainsi que les moyens qu’il consacre à l’enseignement et à la recherche” (article 1er du statut annexé au décret de 2015). Elle a pour objet de “favoriser le progrès et la diffusion, en France et à l’étranger, des sciences politiques, économiques et sociales” (article L. 621-2 du code de l’éducation).
Ses ressources sont les frais de scolarité, les “subventions de l’État et de toutes les collectivités publiques », ainsi que “des libéralités testamentaires et entre vifs”, autrement dit des dons et legs (article L. 758-2 du code de l’éducation).
Sciences Po “opérateur de l’État”, en charge d’un service public.
L’IEP Paris – Sciences Po, comme la FNSP, sont ce qu’on appelle des « opérateurs de l’État » selon les “jaunes budgétaires“, qui sont des annexes explicatives au projet de loi de finances, déposées chaque année au bureau de l’Assemblée nationale avec ledit projet de loi, pour éclairer les parlementaires.
438 organismes sont à ce jour qualifiés d’opérateurs de l’État, parce qu’ils répondent en principe aux critères suivants : une activité de service public se rattachant explicitement à une mission étatique (en l’occurrence, l’enseignement supérieur) ; un financement assuré majoritairement par l’État directement sous forme de subventions directes (indirectes via des taxes affectées à un opérateur), ce qui est le cas en l’occurrence ; un contrôle direct par l’État, sur les plans budgétaire, économique et financier, mais aussi s’agissant des décisions stratégiques de l’organisme, et donc de ses orientations (il existe un contrat pluriannuel entre l’État et l’IEP).
Des ressources en lien avec une mission de service public
Lorsqu’un organisme est qualifié d’opérateur de l’État, il perçoit une subvention pour charges de service public (SCSP) destinée à couvrir ses dépenses d’exploitation (personnels titulaires et fonctionnement). En contrepartie, il est soumis à un plafond d’emplois (nombre maximum d’agents). Le montant de la subvention pour charges de service public en 2022 était de 832 000 euros selon le jaune budgétaire, ce qui est assez peu comparé aux autres sources de financement public bénéficiant à Sciences Po. Mais légalement, la subvention pour charges de service public ne peut être supprimée sans remettre en cause le service public même.
À cette subvention, il faut ajouter la prise en charge publique des personnels enseignants permanents de Sciences Po, qui appartiennent soit aux corps des enseignants-chercheurs des universités, et qui sont directement rémunérés par l’État, soit, notamment, au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) qui les met à disposition. D’après le site de l’établissement, ces enseignants représentent 45 % des intervenants. Ainsi, les financements publics, tous confondus (y compris provenant de la région Île-de-France par exemple), se montent à environ 75 M€ selon le service presse de Sciences Po. A ces financements publics s’ajoutent les frais d’inscription pour environ 72 M€, ainsi que les donations et le mécénat privé, pour, là encore, environ 72 M€ (chiffres fournis par Sciences Po). Le site du ministère de l’enseignement supérieur ne fournit aucun chiffre.
Supprimer les subventions publiques revient à supprimer le service public
Les subventions de la région Île-de-France, par exemple, ne sont en rien obligatoires. Elles résultent de contrats entre la région et l’État, ou entre la région et Sciences Po. Elles peuvent donc légalement être supprimées pour l’avenir, d’autant qu’elles ne mettent pas en péril la mission de Sciences Po de par leur faible intensité au regard du budget total de l’établissement de 220 M€ en 2022 (site internet de Sciences Po).
Mais si l’État entend “stopper” tous les “financements publics” comme le souhaite François-Xavier Bellamy, cela signifie non seulement qu’il supprime les subventions, mais aussi qu’il réaffecte les enseignants-chercheurs de Sciences Po vers les autres établissements universitaires ou de recherche. De plus, si l’État n’apporte plus d’argent, cela signifie qu’il n’a plus aucune légitimité à contrôler l’activité de Sciences Po, et que cette dernière n’aura plus les moyens de faire du service public.
Il faudrait donc d’abord supprimer la mission de service public, afin que Sciences Po ne soit plus opérateur de l’État. Il faudrait ensuite sortir Sciences Po de la liste des “grands établissements” (au sens de l’article D. 717-1 du code de l’éducation), qui ne sont jamais que des universités publiques à statut dérogatoire. Ainsi, devenant une simple entité privée, Sciences Po devrait se financer uniquement par les frais d’inscription (qu’il faudra fortement augmenter et donc renouer avec l’élitisme financier de l’école) et les donations d’entreprises et de personnes physiques. En somme, Sciences Po redeviendrait une école libre comme avant-guerre.
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