1/3 – Les frontières, cible privilégiée de désinformation

Création : 14 juillet 2021
Dernière modification : 22 juin 2022

Autrices : Solweig Bourgueil, Jeanne Ducasse et Inès Hammadi, master droit européen, Université Paris-Est Créteil

Relecteur : Vincent Couronne, chercheur associé au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay

La désinformation sur les frontières extérieures de l’Union européenne apparaît comme l’apanage d’un bord clairement identifié de l’échiquier politique : l’extrême droite. Ignorant la réalité de la politique européenne de gestion des migrations à ses frontières et jouant avec la réalité des conditions d’accueil des migrants, les politiques repeignent l’Europe d’une couleur souverainiste. 

Criminalité, crise sanitaire : le RN multiplie les affirmations fausses ou approximatives

Aux prémices de la crise sanitaire du Covid-19, Marine Le Pen, présidente du parti d’extrême droite français le Rassemblement national, exprime sur BFMTV le 17 janvier 2021 son souhait pour la France de reprendre la main sur la gestion de ses frontières : “Je demande, dès le mois de janvier, de maîtriser, de contrôler les frontières… Tous les pays du monde ont contrôlé leurs frontières, sauf la France !”. Pourtant, la France a élaboré une législation stricte quant au franchissement de ses frontières depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020. Tout événement tendant à nier la capacité de l’Europe à protéger ses ressortissants est instrumentalisé pour discréditer l’Union. Ces évènements peuvent être aussi bien une crise sanitaire, migratoire, économique, ou un acte terroriste. 

D’ailleurs, sur RTL le 7 mars 2019, Marine Le Pen reproche à l’Union européenne une “ouverture totale des frontières à toutes les mafias, tous les criminels, tous les terroristes”, alors que la frontière extérieure créée par l’espace Schengen entraîne bel et bien un contrôle de l’identité des personnes qui la franchissent. Il y a certes des États membres moins regardants sur les individus qu’ils laissent entrer sur leur territoire, mais ces lacunes tendent à être comblées avec la montée en puissance de Frontex, et le perfectionnement des fichiers de données personnelles des étrangers non Européens. Et dans tous les cas, la critique de Marine Le Pen est largement exagérée. 

En dehors des règles de Schengen, il est également possible pour la France de limiter la circulation des personnes sur son territoire, en invoquant des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

De la même manière, Florian Philippot, ancien membre du Front national, avait déclaré sur France Inter le 27 avril 2017 que “avoir des frontières sera déjà une bonne chose puisque nous n’en avons plus” mais il a deux fois tort : il y a toujours des frontières et elles sont aussi bien physiques qu’économiques. La frontière physique concerne la circulation des personnes : elle est limitée au niveau des frontières extérieures pour les ressortissants d’États tiers. Elle est également limitée au niveau intérieur, puisqu’un chômeur européen ne peut rester plus de trois mois dans un État membre dont il n’est pas ressortissant s’il n’a pas les ressources suffisantes ni une couverture sociale. Les frontières sont aussi économiques : elles concernent les marchandises, services et travailleurs, dont leur libre circulation à l’intérieur de l’Union peut être limitée par un État pour des motifs d’intérêt général.

Pourtant, sur France inter le 26 février 2020, Marine Le Pen dénonce “la religion du sans-frontiérisme” de l’Union européenne qui nous empêcherait de fermer nos frontières intérieures”. Or l’article 25 du Code européen Schengen, est clair : “ En cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure d’un État membre dans l’espace sans contrôle aux frontières intérieures, cet État membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle aux frontières”.

En Europe centrale, une désinformation mêlant crise sanitaire et migrants

Chercher à pointer du doigt les défaillances de la construction européenne en occultant la réalité du droit sur la gestion des frontières et de l’application effective des règles est un leitmotiv venant généralement des personnalités politiques d’extrême droite, en France comme ailleurs en Europe. 

En Hongrie, en février 2019, une campagne du Gouvernement avait pour slogan : “Vous avez aussi le droit de savoir ce que Bruxelles prépare : ils veulent instaurer le quota de réinstallation obligatoire des migrants, affaiblir les droits des États membres à défendre leurs frontières, faciliter l’immigration au moyen d’un visa de migrants”. Cette campagne avait été accompagnée d’une lettre rédigée par le président Hongrois Viktor Orban reprenant un discours similaire sur la crise migratoire : “Bruxelles n’a rien appris des horribles attaques terroristes de ces dernières années”. Pourtant, s’il est vrai qu’en septembre 2015, pic de la crise migratoire, le Conseil de l’Union a adopté un système de quota de relocalisation obligatoire pour soulager la Grèce et l’Italie, ce dispositif était provisoire et deux ans après, les quotas obligatoires ont disparu sans que la Hongrie n’ait accueilli une seule personne. Depuis, les 27 ont renoncé à pérenniser ces quotas rejetés par le Gouvernement populiste de droite Fidesz. La particularité du cas hongrois ? Comme le confie Peter Kreko, directeur du think tank Hongrois Political Capital dans un entretien au quotidien Le Monde : “La Hongrie est le seul pays de l’Union européenne où les “fake news” constituent la narration officielle”.

En République tchèque, la crise sanitaire a provoqué la prolifération de fausses informations au sujet des migrants. Selon les théories conspirationnistes qui se sont développées dans le pays depuis le début de la pandémie, l’Union européenne aurait voulu profiter de la confusion entourant le virus pour faire venir de nouveaux réfugiés. Sur fond de crise, les gouvernements européens légaliseraient également le séjour des immigrés, tout autant d’idées fausses. Les personnalités politiques d’extrême droite tirent ainsi profit de la crise sanitaire pour asseoir leurs arguments anti-immigration : “Dans certains des cas les plus extrêmes, il a été rapporté que l’Union européenne aurait engagé des migrants infectés par le Covid-19 pour répandre délibérément le virus en Europe“, déclare Veronika Krátká Špalková du Centre des valeurs européennes, une ONG tchèque libérale dont l’objectif est de promouvoir les liens transatlantiques. Ce type de désinformations a fait l’objet de plusieurs réfutations par les organes gouvernementaux tel que le Centre de lutte contre le terrorisme et les menaces hybrides ou par les médias.

L’Italie n’est pas non plus épargnée

En Italie, le sujet des frontières a suscité beaucoup de désinformation, notamment le parti postfasciste Fratelli d’Italia qui avait affirmé que le gouvernement italien laissait les frontières ouvertes aux migrants alors même que les citoyens italiens faisaient l’objet d’un confinement. Une déclaration que le média de fact-checking Pagella Politica a indiqué aux Surligneurs comme étant trompeuse. Il avait également été affirmé par le leader du parti d’extrême droite la Ligue, Matteo Salvini, que les ports avaient été rouverts pour permettre aux migrants de pénétrer facilement. Une déclaration erronée puisque, comme le montre le média Pagella Politica, les ports n’avaient pas été fermés aux migrants par le gouvernement précédent.

Ainsi, la désinformation à l’égard de la gestion des frontières par l’Europe résulte à la fois des partis politiques d’opposition et plus rarement des partis au pouvoir comme en Hongrie. Et quel que soit le pays, cette désinformation est l’œuvre de partis situés à l’extrême droite de l’échiquier politique.

Cet article a été rédigé avec la participation du média de fact-checking italien Pagella Politica, membre de l’IFCN.

Mise à jour le 15 juin 2021 à 10h01 : corrections des références aux enquêtes de Pagella Politica.

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