Jacques Paquier, CC 2.0

Valérie Pécresse propose de “sortir des 35 heures par la négociation. Les entreprises pourront négocier par accord de branche ou référendum d’entreprise la durée de référence du travail”

Création : 4 avril 2022
Dernière modification : 30 septembre 2022

Auteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS, Laboratoire Droit et Changement social, Nantes Université, le 2 avril 2022

Secrétariat de rédaction : Héreng Loïc et Yeni Daimallah

Source : Valeriepecresse.fr/projet

Sortir des 35 heures par la négociation collective, comme le prévoit Valérie Pécresse, c’est déjà possible. En pratique, il est même possible d’aller jusqu’à 47 heures par semaine sur une année. Mais cela soulève des enjeux en termes de qualité de vie et de conditions de travail sur lesquels il faut aussi négocier.

À l’occasion de chaque élection majeure, la question de la suppression des 35 heures revient dans certains programmes, notamment des Républicains. Dans son programme, relayé par la presse, Valérie Pécresse propose de sortir des 35 heures par la négociation. Les entreprises pourront négocier par accord de branche ou référendum d’entreprise la durée de référence du travail. En pratique, des études statistiques montrent que c’est déjà le cas et que les Français travaillent en moyenne plus de 36h par semaine. N’est-ce donc pas déjà le cas en droit ?

Le Code du travail permet déjà ces négociations au-delà des 35 heures

Le Code du travail fixe en effet la durée légale de travail effectif des salariés à temps complet à 35 heures par semaine, pour toutes les entreprises, quel que soit leur effectif. Cette durée n’est toutefois ni minimale puisque des salariés peuvent être employés à temps partiel, ni maximale, sauf pour les travailleurs de moins de 18 ans, et encore avec dérogations possibles.

En réalité, dans le Code du travail, les 35 heures sont simplement un seuil de déclenchement, notamment des heures supplémentaires ouvrant droit à une majoration de salaire ou un repos compensateur équivalent, auxquels de nombreux mécanismes permettent déjà de déroger. Signalons que ces mécanismes dérogatoires ne sont d’ailleurs pas nouveaux, puisque la loi du 20 août 2008, dite Loi Bertrand, prévoyait déjà de remonter le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, au-delà de 35 heures par semaine, si des accords majoritaires de branche le permettaient. Depuis, la loi Travail” dite aussi loi El Khomri de 2016, et l’ordonnance Macron de 2017 sur la négociation collective, permettent de négocier la durée du travail. 

Or il est contreproductif, en droit, de multiplier les textes ayant le même objet : cela induit des incohérences, des incompréhensions, voire de possibles contournements. Donc voyons déjà ce qui est possible sans modifier le droit.

Analysons déjà ce que les textes existants permettent avant d’en ajouter…

C’est la convention collective de branche qui définit les conditions d’emploi et de travail des salariés, et en particulier les garanties qui leur sont applicables. En matière de durée, de répartition, et d’aménagement du temps de travail, c’est la branche, c’est-à-dire les représentants d’un secteur économique déterminé, qui définit les durées d’équivalence à la durée légale pour des professions pour des professions et des emplois comportant des périodes d’inaction, une durée de travail hebdomadaire, la définition du travail de nuit, le travail à temps partiel, le taux de majoration des heures complémentaires. Sur ces points, la négociation de branche s’impose aux entreprises. Mais, sur toutes les autres questions de durée de travail, c’est l’accord négocié au sein de l’entreprise même qui prédomine.

Le recours aux heures supplémentaires et au droit à repos pour les compenser

Actuellement, la loi fixe à 220 heures par an le maximum légal (appelé contingent) d’heures supplémentaires qu’un salarié peut effectuer, avec majoration de la rémunération horaire. Or, la loi permet d’augmenter ce contingent annuel légal par accord d’entreprise (ou à défaut de branche). Le Code du travail ne fixe aucun maximum chiffré. Il est donc possible par la négociation d’aller largement au-delà des 220 heures légales par an et sans plafond ! Concrètement, si un accord prévoit un plafond plus élevé (il est par exemple de 360 heures dans l’hôtellerie), toutes les heures supplémentaires effectuées par un salarié jusqu’à 360 heures permettent bien une majoration de rémunération, mais pas de repos compensateur.

N’y a-t-il donc aucune limite au nombre d’heures supplémentaires négociables ? Non, dès lors que cela n’aboutit pas à remettre indirectement en cause les repos journaliers et hebdomadaires obligatoires ainsi que les droits à congés payés.

Les limites : le droit aux congés, repos, jours fériés

Un employeur peut donc imposer à ses salariés des heures supplémentaires mais il doit respecter les durées hebdomadaires maximales de travail, les temps de repos et les congés. Quelles sont-elles et qui les fixe ?  

Dans une journée, un salarié peut travailler jusqu’à 10 heures, sauf accord (d’entreprise ou de branche) pouvant porter cette durée à 12 heures. Entre deux jours travaillés, un salarié à droit à 11 heures de repos, sauf accord (d’entreprise ou de branche), pour des activités caractérisées par la nécessité d’assurer une continuité du service ou par des périodes d’intervention fractionnées (surcroît ponctuel d’activité, travaux urgents par exemple).

Par semaine, un salarié peut travailler au maximum 48 heures sans dépasser une moyenne de 44 heures hebdomadaire sur 12 semaines consécutives. En cas de circonstances exceptionnelles, cette durée peut être portée à 60 heures maximum, avec l’accord de l’inspection du travail. De façon générale, un accord peut prévoir jusqu’à 46 heures par semaine sur ce même cycle de 12 semaines. En l’absence d’accord, les 46 heures peuvent être autorisées par l’inspection du travail.

Reste à combiner tout cela avec l’interdiction de faire travailler un salarié plus de 6 jours par semaine, le droit à un repos hebdomadaire de 24 heures auxquelles s’ajoutent les 11 heures de repos quotidien (soit 35 heures consécutives de repos), le droit à un congé de 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur, soit 30 jours par an, c’est-à-dire 5 semaines de congés payés, que le Code du travail ne permet pas réduire.

N’oublions pas enfin les jours fériés ! Onze sont prévus par le Code du travail, mais un seul est férié et non travaillé : le 1er mai. Pour les 10 autres, c’est la négociation d’entreprise ou de branche qui définit s’ils sont non travaillés, voire l’employeur à défaut d’accord

Ouf ! Parce que le droit, c’est aussi un peu de maths…. quel est donc le nombre d’heures qu’un employeur peut faire travailler à ses salariés par semaine ?

Des simulations ont ainsi montré qu’en combinant toutes ces données, un salarié pouvait travailler, jusqu’à 2068 heures par an, soit une moyenne de 44 heures par semaine sur l’année.

Si le salarié pose seulement deux semaines de congés payés consécutives (comme la loi l’y oblige) puis une semaine toutes les 11 semaines, il peut d’aller jusqu’à 2246 heures de travail par an, soit 47 h 47 mn par semaine… et tout cela, en application d’accords collectifs négociés. 

Et ces calculs ne concernent pas les salariés au forfait en jours (comme des cadres, par exemple, tenus par une convention de forfait de travailler un nombre de jours, et pas d’heures dans l’année ) : un accord d’entreprise peut, en tenant compte des contraintes décrites ci-dessus, porter leur durée de travail à 282 jours par an.

Ces calculs ne tiennent pas compte du régime spécial d’Alsace Moselle qui, depuis une Ordonnance Impériale (allemande) du 16 août 1892, encore confirmée par une loi de 2005, compte 13 jours fériés (le vendredi de Pâques et le 26 décembre s’ajoutent à la liste) dont 4 chômés (11 novembre, le 1er mai, le 8 mai et le 14 juillet). Mais n’allons pas tout compliquer !

La question n’est donc pas de sortir des 35 heures par la négociation, comme le prévoit Valérie Pécresse, puisque le Code du travail prévoit déjà de nombreuses dispositions permettant d’y déroger. Mais il s’agit plutôt de savoir si les employeurs et les salariés des entreprises, leurs représentants dans les branches, souhaitent négocier à ce sujet, comme la loi leur permet déjà de le faire …  tout en négociant aussi, comme la loi leur impose, sur la qualité de vie et les conditions de travail.

Contactée, Valérie Pécresse n’a pas répondu à nos sollicitations.

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