Un cabinet d’avocats rédigeant l’exposé des motifs d’une loi ? « Je n’ai jamais rien vu de tel » déclare Michel Sapin. Il n’empêche que c’est possible.
Dernière modification : 17 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus
Source : Le Monde, 29/11/2018
Même si l’exposé des motifs et l’étude d’impact sont obligatoires et font partie intégrante du projet de loi, aucun texte n’interdit au gouvernement d’en « sous-traiter » la rédaction dès lors que cela se fait dans la transparence. Les parlementaires le font eux-mêmes couramment.
Il existe deux origines possibles de la loi : le projet de loi élaboré par le gouvernement, puis soumis à discussion du Parlement et voté par celui-ci ; la proposition de loi, rédigée par un parlementaire puis éventuellement soumise à l’examen du Parlement en vue d’être adoptée. Si la procédure d’élaboration des lois est très encadrée par la Constitution, la rédaction même du texte l’est bien moins : la seule obligation concerne l’exposé des motifs et l’étude d’impact.
L’exposé des motifs est une sorte de long préambule par lequel le gouvernement détaille à l’intention des parlementaires les raisons, les objectifs du projet de loi et les moyens juridiques pour y parvenir. Cet exposé des motifs est obligatoire pour tout projet de loi (Loi organique du 15 avril 2009). Il est suivi du texte même de la loi projetée, et le Conseil constitutionnel en vérifie l’existence tout comme il en tient compte pour apprécier la constitutionnalité de la loi.
Tout projet de loi est également accompagné d’une étude d’impact, obligatoire depuis 2009. Elle définit avec précision les raisons du recours à une nouvelle loi (donc l’imperfection des lois existantes) et comporte l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales du projet, autrement dit : combien va coûter la nouvelle loi, du point de vue financier, social, environnemental. Sa forme est celle d’un rapport.
Dans le cas de la loi dite « Mobilités », le gouvernement a confié à un cabinet d’avocats la rédaction de l’exposé de motifs et de l’étude d’impact du projet, alors que ce sont en principe les services de l’État qui le font.
Il est vrai que ce n’est pas en France une habitude, parce qu’il existe au sein des ministères des personnels formés pour cette mission. Pour autant, aucun texte n’oblige le gouvernement à faire rédiger l’exposé des motifs ou l’étude d’impact par ses propres agents. Mieux encore, la rédaction des projets même de lois pourrait être confiée à un cabinet d’avocats, à une commission composée de juristes, de professionnels d’un secteur donné, etc. Des réformes entières ont été rédigées par des « commissions » regroupant des professeurs de droit mandatés pour cela, la dernière en date étant la réforme des contrats civils. Cela ne signifie en rien que le gouvernement abandonne son pouvoir d’initiative des lois.
L’Union européenne elle-même finance des missions composées d’avocats et/ou de professeurs de droit pour aller rédiger des codes entiers au profit des pays nouvellement entrés dans l’Union, pour adapter leur législation au droit européen. Bien des gouvernements hors Europe recourent également à des juristes privés pour rédiger entièrement leurs textes officiels, exposé des motifs et articles compris.
Reste que cette façon de procéder comporte des risques. Il faut d’abord respecter le code des marchés publics en lançant un appel d’offres public, puis choisir de façon transparente le cabinet d’avocats le mieux-disant. Sinon, il peut y avoir délit de favoritisme comme on en a connus lors de l’affaire des sondages de l’Élysée. Il importe ensuite de veiller à la neutralité du cabinet choisi, c’est-à-dire à l’absence de conflits d’intérêts, par exemple un lien d’affaires avec un industriel concerné par le projet de loi : il en va de la neutralité de la loi même. Enfin, le cabinet choisi devra s’engager à ne pas attaquer la loi qu’il aura contribué à rédiger ni ses décrets d’application, voire ne plus attaquer l’État.
En somme, rédiger un exposé des motifs, une étude d’impact ou même un projet de loi relève d’une prestation juridique, que l’État peut confier au secteur privé pour différentes raisons qu’il n’a d’ailleurs pas à fournir : un coût inférieur à une rédaction par des conseillers agents de l’État, ou un manque de conseillers spécialisés dans le domaine considéré.
Dans le cas de la loi « Mobilités », le choix du cabinet semble faire débat en raison de la personne de son dirigeant, ancien haut fonctionnaire, ce qui émeut au Parlement. Favoritisme ou conflit d’intérêts, c’est effectivement un problème potentiel, à vérifier au cas par cas. Pour autant, peu de députés et sénateurs s’émeuvent de voir leurs propres collègues déposer des propositions de loi entièrement rédigées par des lobbys, sans filtre ni appel d’offres. Il est donc surprenant que le député Michel Sapin, s’étonne du procédé.
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