Selon un sondage, une majorité de Français est favorable à l’utilisation des statistiques ethniques pour lutter contre la délinquance
Dernière modification : 26 mars 2024
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Relecteur : Jean-paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : CNEWS, 21 mars 2024
Les statistiques ethniques sont à ce jour interdites par la loi et même par la Constitution (principe d’égalité). Une exception existe si la finalité poursuivie revêt un intérêt public, il reste à lui donner corps sans contrarier le Conseil constitutionnel…
Selon un sondage mené pour les médias Europe 1, Cnews et le JDD, 53% des Français sont favorables à l’utilisation des statistiques ethniques pour lutter plus efficacement contre la délinquance. Le débat avait déjà été ouvert il y a quelques années, à propos du maire de Béziers qui recensait les élèves étrangers de ses écoles selon leur origine. Quelques années plus tard, Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement d’Edouard Philippe que nous avions surlignée, entendait le rouvrir afin d'”objectiver les choses” sur la question de l’intégration sociale. Reste qu’en l’état une telle statistique est contraire à la Constitution.
L’interdiction par la loi des statistiques ethniques en France
Selon l’article 6 de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978, il est “interdit de traiter des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale d’une personne physique.” Il existe des exceptions en droit européen, en particulier les statistiques effectuées “à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes ou de poursuites” (article 2 du règlement général sur la protection des données), ou dit de façon un peu schématique, l’indication de l’origine ethnique des personnes soupçonnées de délits, de façon à les retrouver plus facilement. Ces exceptions sont reprises par la loi de 1978 (article 31). Autre exception prévue par la loi : les statistiques résultant de “traitements justifiés par l’intérêt public.” Mais aucun décret n’est venu concrétiser cette possibilité à ce jour.
Le code pénal interdit de manière générale les statistiques ethniques, c’est-à-dire “le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le consentement exprès de l’intéressé, des données à caractère personnel qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses, ou les appartenances syndicales des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre de celles-ci, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende” (article 226-19 du Code pénal).
Peut-on modifier la loi pour autoriser les statistiques ethniques ?
Selon le Conseil constitutionnel, l’article 1er de la Constitution interdit toute distinction selon l’origine, la race ou la religion, ce qui rend inconstitutionnelle toute statistique prenant ces critères en compte. C’était en 2007, et le Conseil constitutionnel n’admet depuis ce jour que les statistiques basées sur “des données objectives”, à savoir par exemple la nationalité, celle des parents, ou l’adresse postale, voire le traitement des données d’état-civil (selon les origines des noms et prénoms).
En somme, si l’on veut utiliser les statistiques ethniques pour lutter contre la délinquance, il faudra soit modifier la Constitution, soit convaincre le Conseil constitutionnel que les statistiques ethniques répondent à un intérêt général suffisant pour justifier une entorse au principe d’égalité. Pour cela, une loi autorisant les statistiques ethniques devrait énoncer clairement les finalités autorisées (par exemple la sécurité ou la lutte contre les discriminations) et encadrer strictement les modalités de recueil et de traitement des données.
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