Selon Nicolas Sarkozy, le tribunal correctionnel de Paris “méconnaît les décisions du Conseil constitutionnel”

Création : 7 octobre 2021
Dernière modification : 24 juin 2022

Auteur : Alexandre Fournil, master Gouvernance territoriale, Université Grenoble Alpes

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Source : Compte Facebook de Nicolas Sarkozy, 30 septembre 2021

Il est courant en droit français de subir deux sanctions dans une même affaire. C’est admis lorsque les sanctions en cause concernent des aspects différents d’une même affaire, et surtout lorsqu’elles n’ont pas le même but : ici, rétablir l’égalité des candidats d’un côté, punir un comportement malhonnête de l’autre.

Après sa condamnation par le tribunal correctionnel de Paris le 30 septembre dernier dans l’affaire dite “Bygmalion”, l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy à réagi sur son compte Facebook. Il considère que le droit a été bafoué au motif qu’il aurait déjà été condamné pour les mêmes faits, ce qui est contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Il existe bien une règle selon laquelle il n’est pas possible d’être condamné deux fois pour les mêmes faits. Ce principe nous vient du droit romain. Il est désigné par la locution latine ne bis in idem, traduite parnul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits”. L’affaire Bygmalion nous offre une belle occasion d’expliquer concrètement de quoi il s’agit. 

Deux sanctions, c’est vrai…

Nicolas Sarkozy a bien été sanctionné en 2012 par la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques (CNCCFP) pour avoir dépassé les plafonds de dépenses électorales autorisés par le Code électoral. Ainsi, la CNCCFP, qui est une autorité administrative indépendante dotée d’un pouvoir de sanction, avait rejeté les comptes de campagne pour l’élection présidentielle de Nicolas Sarkozy. Il en résultait que ce dernier devait d’une part restituer l’avance forfaitaire de l’État de 153 000€ dont il avait bénéficié en tant que candidat à l’élection présidentielle, et d’autre part verser au Trésor Public la somme de 363 615€ correspondant au montant du dépassement du plafond des dépenses autorisées. Cette décision de mai 2012 avait fait l’objet d’un appel auprès de Conseil constitutionnel qui, par une décision de juillet 2013, confirma la décision rendue par la CNCCFP. C’est la première sanction, qui porte sur le dépassement du plafond de dépenses électorales, prévue par le Code électoral, et destinée à faire respecter l’égalité entre les candidats.

La seconde sanction est celle contre laquelle Nicolas Sarkozy va faire appel : elle émane du tribunal correctionnel, pour engagement de dépenses dépassant le plafond légal. Celle-ci fait partie des sanctions pénales prévues par le Code électoral. Au passage, notons que la peine prononcée à l’encontre de Nicolas Sarkozy est fondée sur le texte en vigueur à la date de commission des faits (2012). À ce moment-là, le candidat coupable de financement illégal de campagne électorale ne risquait “que” 3 750€ d’amende et un an d’emprisonnement. Depuis 2017, la peine est passée à 3 ans et 45 000€ d’amende.

…mais pour des faits un peu différents et surtout, pas dans le même but

Nicolas  Sarkozy affirme qu’il y a  eu méconnaissance de la règle ne bis in idem, parce qu’il est jugé et sanctionné deux fois pour les mêmes faits. Ce n’est pas l’avis du Conseil constitutionnel, que l’ancien président avait d’ailleurs lui-même saisi : par une décision de mai 2019, le juge constitutionnel a expressément affirmé que les deux sanctions étaient distinctes. Ces deux poursuites – et donc les sanctions qui s’ensuivent – n’ont pas la même finalité : la première tend à “assurer le bon déroulement de l’élection du Président de la République et, en particulier, l’égalité entre les candidats au cours de la campagne électorale” ; la seconde vise à “sanctionner les éventuels manquements à la probité des candidats et des élus”.

On distingue donc bien : 

  • la sanction prévue par le Code électoral et infligée par la CNCCFP, qui est automatique en cas de dépassement du plafond des dépenses électorales, et qui tend à rétablir l’égalité financière entre les candidats ; 
  • la sanction pénale infligée par le tribunal correctionnel, destinée à tenir compte d’un comportement malhonnête.

S’agissant des faits, ils sont bien identiques pour une part, mais le tribunal correctionnel estime que certaines sommes dissimulées n’avaient pas été soumises au contrôle de la CNCCFP, ce qui lui permet de juger un financement illégal et pas seulement un dépassement de plafond. L’argument est peu convaincant, mais de toute façon l’identité de faits ne suffit pas à affirmer que la règle ne bis in idem est bafouée, car les finalités des deux sanctions restent bien différentes.

Cette dualité de sanctions pour des faits identiques est très répandue en droit français. Par exemple, un médecin qui, par incompétence ou négligence, cause la mort de son patient, sera condamné à une peine d’emprisonnement par le tribunal correctionnel (homicide involontaire), et sera parallèlement interdit d’exercice par le conseil de l’ordre des médecins pour éviter qu’il nuise à d’autres patients une fois sorti de prison.

Nicolas Sarkozy va faire appel, mais la cour d’appel est tenue par les décisions du Conseil constitutionnel. Il y a donc de fortes chances qu’elle rejette l’argument du ne bis in idem. Mais nul doute que l’ancien président avancera d’autres arguments en appel, il faut donc rester prudent.

Contacté, le parti Les Républicains n’a pas répondu à nos sollicitations.

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