Projet de loi marché du travail : l’Assemblée nationale se dresse contre les abandons de postes

Création : 13 octobre 2022
Dernière modification : 17 octobre 2022

Auteur : Maxime Bisiau, élève-avocat en droit de la protection sociale et droit du travail, École de Formation des Barreaux 

Relecteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, Laboratoire Droit et changement social, Université de Nantes

Un amendement parlementaire est venu transformer l’abandon de poste par le salarié en une sorte de démission présumée, le privant de tout droit aux allocations de chômage. C’est un peu radical en la forme, incohérent par certains aspects et cela pourrait fâcher le Conseil constitutionnel…

Tout salarié abandonnant son poste serait présumé démissionnaire et ainsi privé d’allocations d’assurance chômage : c’est l’objet de l’amendement déposé et adopté à l’Assemblée Nationale le 5 octobre 2022. Le projet de loi “sur le fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi“, dans lequel cet amendement s’inscrit, vient d’être voté dans son intégralité par l’Assemblée le 11 octobre dernier, avant un passage devant le Sénat. 

Ne pas confondre démission et abandon de poste

La démission constitue un acte unilatéral par lequel le salarié en contrat à durée indéterminée manifeste, de façon claire et non équivoque, sa volonté librement exprimée de mettre fin à son contrat de travail. Si toutes ces conditions ne sont pas réunies, la rupture du contrat de travail ne peut être considérée comme une démission selon le juge

Pour cette raison, l’abandon de poste par le salarié n’est pas considéré comme une démission : il y a bien absence injustifiée, mais qui ne peut constituer à elle seule une manifestation non équivoque de la volonté du salarié, telle qu’exigée par le juge

Les solutions actuelles de l’employeur face à l’abandon de poste

Face à un salarié abandonnant son poste, l’employeur peut le licencier pour faute grave, après mises en demeure infructueuses, et il ne sera tenu de lui verser que l’indemnité compensatrice de congés payés, à l’exclusion de toute l’indemnité de licenciement ou de préavis. Mais l’employeur peut aussi ne rien faire : il n’est pas obligé de prendre une quelconque décision à l’encontre de son salarié. Ne travaillant pas, ce dernier ne sera donc plus payé par l’employeur ni indemnisé par Pôle emploi. 

Le droit aux prestations d’assurance chômage

Actuellement, Pôle emploi verse les prestations de l’assurance chômage aux assurés qui répondent à certaines conditions : la rupture “involontaire” du contrat de travail en est une des principales. C’est le cas du non-renouvellement de CDD par l’employeur, d’une rupture conventionnelle de contrat de travail, et plus généralement de tout licenciement (Règlement d’assurance chômage, article 2). En revanche, la démission étant une rupture volontaire du contrat de travail par le salarié, elle n’ouvre pas droit aux prestations de l’assurance chômage.

C’est précisément la situation intermédiaire de l’abandon de poste qui est ciblée par les députés dans leur amendement : ils estiment qu’en abandonnant son poste, le salarié ne démissionne pas uniquement afin de pousser l’employeur à le licencier et ainsi percevoir des allocations de chômage. La rupture de contrat ne serait alors pas involontaire de la part du salarié : c’est bien lui qui l’aurait provoquée.

 L’amendement tend à créer une présomption de démission en cas d’abandon de poste 

L’amendement adopté par l’Assemblée Nationale propose d’ajouter un article L. 1237-1-1 au Code du travail selon lequel est “présumé démissionnaire“ le salarié abandonnant volontairement son poste et qui ne reprend pas son travail, après mise en demeure par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. 

Pour être “présumé démissionnaire“, le salarié doit donc abandonner volontairement son poste et ne pas le reprendre malgré la mise en demeure de son employeur. Comment apprécier le caractère volontaire de cet abandon si justement le salarié ne répond à aucune relance de l’employeur ? Si l’abandon de poste se constate objectivement, le caractère volontaire est subjectif et nécessite probablement plus de nuance. Bien des raisons, notamment de santé, d’accident, peuvent expliquer que personne ne prévienne l’employeur. Une présomption ainsi assénée sans possibilité pour le salarié de contester après coup et de prouver sa bonne foi revient à ne lui laisser aucune chance. Cela paraît très excessif au regard des droits du salarié, et cela crée une insécurité juridique. À elle seule, cette imprécision pourrait justifier la censure par le Conseil constitutionnel.

 Outre un envoi par lettre recommandé avec accusé de réception, l’amendement prévoit également que la mise en demeure faite par l’employeur, demandant à son salarié de reprendre son poste, peut aussi lui être remise en main propre. Disposition inutile juridiquement et difficilement praticable concrètement : quel salarié serait suffisamment téméraire pour abandonner son poste tout en revenant dans l’entreprise pour récupérer sa mise en demeure ?

 Un nid à contentieux : l’employeur n’y gagnerait pas en sécurité juridique

À supposer même que la loi ne crée qu’une présomption simple (c’est-à-dire donnant une chance au salarié de prouver que l’abandon n’est pas volontaire), le salarié serait donc mis en mesure de se défendre. Face aux enjeux (toucher les prestations de l’assurance chômage), il saisirait certainement le conseil de prud’hommes pour contester cet abandon de poste, estimant que sa situation dans l’entreprise l’a amené à agir ainsi. L’affaire serait directement portée devant le bureau de jugement qui devrait la juger dans un délai d’un mois, sans procédure de conciliation préalable. 

Car jusqu’à présent, face à un abandon de poste, l’employeur réagissait par un licenciement pour faute, peu contestable et peu contesté devant les conseils de prud’hommes. Avec ce texte en projet, l’abandon de poste serait requalifié en démission présumée, très contestable et qui sera probablement très contestée. Le salarié cherchera devant le juge à faire “requalifier” (c’est-à-dire transformer) sa démission pour abandon de poste en licenciement sans cause réelle et sérieuse, afin d’obtenir des indemnités. Côté employeur, il n’y a aucun enjeu : la loi en projet ne vise pas les indemnités de départ qui sont à sa charge, mais les seules indemnités versées par Pôle emploi. L’employeur doit-il assumer ces risques pour ce qui relève du service public de l’emploi ?

 

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