Réforme des retraites : une rentrée parlementaire sous la menace du 49.3

Création : 6 octobre 2022

Auteur : Emeline Sauvage, journaliste

Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Relecteurs : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng

49.3, dissolution de l’Assemblée nationale, motion de censure : à l’aube de l’ouverture des sessions parlementaires, le gouvernement multiplie les menaces pour faire passer sa très controversée réforme des retraites.

C’est la rentrée pour l’Assemblée nationale. Après un débat public musclé autour de la réforme des retraites, l’année parlementaire est placée dès la rentrée sous la menace du 49.3 pour faire passer en force la réforme, voire même le budget de l’État pour 2023. Allié historique des gouvernements toutes couleurs confondues, l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution fait aujourd’hui toujours autant couler d’encre qu’en 2016 lors du passage de la très critiquée loi Travail sous Manuel Valls. Avec une majorité relative de 245 députés, le gouvernement pourrait être tenté d’utiliser une nouvelle fois l’article. Quelles sont les conditions pour enclencher le dispositif ? Quels sont ses effets ? Décryptage. 

À quoi sert le 49.3 ?

Habituellement, lorsqu’un projet de loi est examiné à l’Assemblée nationale, les députés peuvent activer plusieurs leviers pour ralentir le processus de vote et ainsi prolonger le débat en multipliant les amendements ou les allers-retours avec le Sénat. 

Mais il arrive que sur des projets de loi controversés comme la réforme des retraites, la loi Macron (2015) ou la loi travail (2016), le gouvernement éprouve la nécessité de faire passer une loi sans discussion ni vote des députés de l’Assemblée nationale. En 2003, plus de 13 000 amendements avaient été déposés par les députés lors de la réforme des modes de scrutin régional et européen et avaient poussé Jean-Pierre Raffarin à actionner ledit article. En 1958, lors de l’élaboration de la Constitution, l’article 49.3 était justifié par Michel Debré, alors Premier ministre de Charles de Gaulle, par le besoin de garantir au gouvernement “une disposition quelque peu exceptionnelle pour assurer, malgré les manœuvres, le vote d’un texte indispensable”

Comment activer le 49.3 ? 

L’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution donne le pouvoir au Premier ministre, après en avoir obtenu l’autorisation en Conseil des ministres qui est présidé par le président de la République, de faire passer en force un texte de loi sur un projet de loi de finances, de financement de la sécurité sociale ou d’un autre projet en débat à l’Assemblée nationale. Il met ainsi immédiatement un terme aux discussions et fait adopter la loi concernée sans passer par le processus de vote. Les députés disposent alors de 48 heures pour déposer une motion de censure s’ils le souhaitent. Si cette motion est adoptée à la majorité des députés constituant l’Assemblée nationale, le gouvernement doit démissionner et la loi n’est pas adoptée.

La loi doit tout de même suivre une partie de son processus d’adoption habituel et être adoptée par le Sénat, puis être examinée éventuellement en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Au prix d’une majorité éclatée et d’une opinion publique divisée sur la question, la loi Travail fut tout de même adoptée grâce au passage en force de l’article 49.3.

Un pouvoir limité 

Mais l’utilisation du 49.3 reste limitée. En 2008, Nicolas Sarkozy a fait subir à la Constitution une réforme qui encadre le fonctionnement de l’article. Désormais, ce dernier ne peut être actionné que sur un seul texte de loi et au cours d’une même session parlementaire. Néanmoins, la formulation de l’article permet d’utiliser plusieurs fois le 49.3 sur un même texte. 

C’est ce qui a permis à Manuel Valls, en 2016, de faire appel à trois reprises au 49.3 pour faire passer la loi travail, c’est-à-dire à chaque fois que le projet de loi revenait devant l’Assemblée nationale après examen par le Sénat ou la commission mixte paritaire. Parallèlement, cet article peut être utilisé pour chaque projet de loi de finances – le budget de l’État – et pour chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale. Car rappelons que le président de la République souhaitait faire passer la réforme des retraites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Un allié historique des gouvernements 

Valls, Pompidou, Balladur, Chirac ou Edith Cresson : l’utilisation du 49.3 par les gouvernements français n’en est pas à ses prémisses. Depuis 1958, l’article a été utilisé plus de 87 fois. Mais la palme de la plus grande utilisation du 49.3 revient à Michel Rocard qui ne disposait à l’époque que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. En trois ans de mandat à Matignon, de 1981 à 1995, Michel Rocard a actionné ce levier 28 fois.

La dernière utilisation du 49.3 remonte à février 2020 sous le gouvernement d’Édouard Philippe pour la réforme des retraites. Un projet finalement enterré avec l’éclatement de la crise sanitaire. Mais ce projet de passage en force pourrait revenir. Depuis la rentrée, le gouvernement agite le spectre des armes constitutionnelles, dont le 49.3, pour faire passer la réforme coûte que coûte. 

Avec son usage limité et son utilisation controversée, l’article 49.3 est loin d’être une solution miracle pour le gouvernement s’il veut faire adopter sa réforme des retraites.

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