PayPal : Vers une privatisation de la lutte contre les fausses informations ?

Création : 20 novembre 2022
Dernière modification : 1 décembre 2022

Auteur : Hugo Delanoy, master de droit des médias électroniques, Aix-Marseille Université

Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences en droit privé, Aix-Marseille Université, Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)

Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani 

En créant son propre système de de sanction par une pénalité de 2 500 dollars contre les fausses informations sur son réseau, Paypal s’érige à la fois en policier et en juge, ce qui fait beaucoup pour une institution privée. On comprend la réaction des internautes et le rétropédalage qui a suivi…

Le 10 octobre dernier, une modification des conditions d’utilisation de PayPal, peu mise en avant par la firme américaine, fût mise en lumière par The Daily Wire, un média américain, et des utilisateurs sur Twitter. Cette modification porte sur le régime de sanctions que PayPal impose à ses utilisateurs. Cette mesure n’a pas laissé indifférent les usagers de PayPal, qui ont su montrer leur mécontentement sur les réseaux comme Twitter. Est-ce le début d’une ère de contrôle de la liberté d’expression par des entreprises privées au lieu de l’autorité publique ? Ou seulement une tentative ratée de se donner l’image d’une entreprise qui se sent concernée par la lutte contre la manipulation de l’information ?

Un régime de sanction financière imposé par PayPal

Ce n’est pas nouveau, PayPal prévoit des restrictions pour certaines activités, pour la plupart illégales ou portant sur des marchés réglementés comme celui des armes, de l’alcool ou du tabac. Dans un chapitre intitulé “activités interdites et suspensions”, un sous-chapitre portant “mesures que nous pourrons prendre si vous vous engagez dans des activités interdites” prévoit un régime de sanctions financières en cas d’activité illicite ou contraire aux conditions d’utilisation du site. Il y est  mentionné que PayPal pourra saisir la somme de 2 500 dollars (ou équivalent) directement sur le compte PayPal d’un utilisateur lorsque celui-ci contrevient aux conditions d’utilisation. La mise à jour de ces conditions d’utilisation, début octobre, ajoute une sanction portant sur le financement de fausses informations.

PayPal, par cette mesure, s’érige en gendarme de la liberté d’expression sur Internet. En effet, l’entreprise privée, démunie de toute prérogative de puissance publique, s’octroie le droit d’infliger ce qui ressemble fort à une amende à ses utilisateurs. L’entreprise est restée évasive sur la condition de mise en place de cette sanction. Effectivement, nul ne sait si une condamnation pénale préalable de l’utilisateur serait requise par Paypal avant de saisir les 2 500 dollars. Dans ses conditions d’utilisation, la firme américaine se justifie en indiquant que c’est le montant du dommage qu’elle subit, et ne mentionne pas de condamnation pénale.

L’indignation des internautes qui force Paypal à faire marche arrière

Cette révélation du média américain n’a pas laissé les internautes indifférents. Des utilisateurs de Twitter ont par exemple conseillé à leurs followers de retirer tous les fonds qu’ils avaient laissés sur la plateforme de paiement en ligne. Aujourd’hui, aucune information sur les projets de PayPal en la matière n’est communiquée. Cet appel sur Twitter a aussi fait grand bruit parmi les soutiens de Donald Trump, ce qui n’a rien d’étonnant lorsque l’on voit que ce dernier fut banni de Twitter à cause de la propagation de fausses informations.

À noter aussi que les anciens cadres de PayPal ont également dénoncé cette mesure, notamment l’ancien dirigeant David Marcus, qui l’a qualifiée de “folie”. Elon Musk, lui-même, pourtant fervent défenseur de la liberté d’expression et co-fondateur de PayPal, a manifesté son accord avec les propos de David Marcus.

Bien que la lutte contre le financement de fausses informations soit un objectif d’intérêt général, le fait qu’une institution privée s’érige en arbitre de ce qui est vrai ou faux peut poser problème.

Dans une note publiée par le média Axios, la multinationale fait marche arrière et accuse une erreur de communication. Elle s’excuse de la confusion que cette “erreur” a pu causer. Il est cependant difficile de croire à une simple erreur de manipulation, et PayPal se ridiculise avec cette excuse grossière. Au moins, ce rétropédalage montre l’intérêt que de telles entreprises portent à leur image et à l’opinion publique. 

Une tendance des entreprises privées à se substituer au juge ?

En France, comme dans d’autres pays, la Justice dispose d’un arsenal de lutte contre la diffusion de fausses informations. Par exemple, la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information crée une procédure de référé en urgence pour faire cesser la diffusion de fausses informations. L’idée est d’empêcher le plus rapidement possible la diffusion de fausses informations si leur inexactitude est manifeste, tout en préservant la liberté d’expression. Cette procédure d’urgence ne peut être actionnée que dans les trois mois précédant une élection nationale, car on considère que le contexte des élections exige un encadrement plus rigoureux des informations circulant, afin de garantir la loyauté du scrutin. Reste à vérifier dans la réalité l’efficacité de cette procédure, car les réseaux sociaux sont bien plus rapides que n’importe quel juge, même saisi en urgence.

D’où les initiatives comme celle de Paypal. Mais en tentant de sanctionner financièrement certains comportements, Paypal se substitue à la justice et aux administrations publiques. À quand une véritable police publique des réseaux sociaux ?


Dans le cadre d’un partenariat avec le Master 2 Droit des médias électroniques de l’Université d’Aix-Marseille, Les Surligneurs vous proposent une sélection d’articles entre novembre 2022 et janvier 2023. Plus d’articles peuvent être consultés sur le site internet de l’Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)

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