Euro numérique. Lancement prévu au plus tard pour 2027 : quels sont les enjeux ?

Création : 10 novembre 2022

Autrice : Bérénice Surlin, master de droit des médias électroniques, Aix-Marseille Université

Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences en droit privé, Aix-Marseille Université, Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani



L’euro numérique pourrait prendre forme dans nos smartphones dès 2027. Ses promoteurs vantent un système de paiement sécurisé, moderne, respectueux de la vie privée, instantané, simple. Certes, mais n’oublions pas les autres enjeux : lutte contre le blanchiment, et surtout une souveraineté monétaire par la lutte contre l’influence des cryptomonnaies privées. Mais dans ce cas, pourquoi avoir choisi Amazon comme partenaire pour le lancement ?  

Fin septembre 2022, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, annonçait le lancement de l’euro numérique au plus tard pour 2026 ou 2027 au cours d’une conférence organisée à Paris, réunissant des acteurs majeurs du secteur de la finance tels que Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), et Jerome Powell, président de la Federal Reserve Board (FED).

À cette annonce, plusieurs réactions ont émergé, en particulier celle de Changpeng Zhao, PDG de Binance (société leader du secteur des cryptomonnaies), qui déclarait à l’occasion du Web Summit organisé le 2 novembre à Lisbonne, au Portugal : Est-ce que ces monnaies numériques sont une menace pour Binance ou d’autres cryptomonnaies ? Je ne le pense pas. Je pense vraiment que plus il y en a, mieux c’est. […] Cela validera le concept de la blockchain (technologie de stockage et de transmission d’informations sous la forme d’une base de données), si bien que toute personne qui émet des doutes concernant cette technologie se dira : ok, notre gouvernement l’utilise. […] C’est pourquoi tout cela est positif”

Alors que l’un des objectifs de l’euro numérique est de contrer l’essor des cryptomonnaies, ce discours amène à une plus profonde réflexion.

Les étapes du projet d’euro numérique 

En juillet 2021, le projet de création de l’euro numérique était officiellement lancé par la BCE. L’expérimentation a débuté sous la forme d’une phase d’étude d’une durée de deux ans. 

Cette première phase est principalement destinée à “traiter les questions essentielles se posant en matière de conception et de distribution”, selon la BCE, et vérifier comment l’euro numérique peut “répondre aux besoins des Européens” et “contribuer à prévenir les activités illégales et éviter tout effet indésirable sur la stabilité financière et la politique monétaire”.

Cette phase d’étude s’achèvera en octobre 2023. À ce moment, la BCE, s’appuyant sur un bilan, prendra la décision finale de lancer ou non le processus de création. Si le bilan est positif, le lancement de l’euro numérique se fera au plus tard en 2027. 

Qu’est-ce que l’euro numérique ?  

L’euro numérique désigne “l’équivalent des billets en euros sous forme dématérialisée”. Concrètement, il s’agit d’équivalents de pièces ou de billets, qui circuleront dans des portefeuilles électroniques dits wallets, de façon totalement indépendante des autres modes de paiement.

Cette nouvelle monnaie électronique serait émise par l’Eurosystème, constitué de la BCE et des banques centrales nationales de la zone euro. Ainsi, l’euro numérique existerait parallèlement aux espèces et constituerait une solution de paiement supplémentaire, à l’usage simplifié et facilité. Concrètement, les euros numériques seront stockés sur smartphone au sein d’un portefeuille numérique sécurisé et indépendant des autres modes de paiement. Les paiements en euro numérique seront alors réalisés suivant le même schéma que le paiement sans contact via smartphone existant déjà aujourd’hui (Apple Pay notamment).

L’euro numérique devra donc être suffisamment adapté et attractif aux yeux du grand public, pour devenir une réelle alternative aux autres formes de paiement. Surtout, la confiance des utilisateurs concernant ce nouveau mode de paiement, résultat d’une transformation majeure de la finance par les technologies numériques, devra être acquise. 

Pourquoi créer un euro numérique ? 

Fabien Panetta, membre du directoire de la BCE, affirme notamment qu’un euro numérique permettrait de favoriser l’inclusion financière en ouvrant les paiements numériques à ceux qui n’ont pas, actuellement accès aux services financiers”. Les utilisateurs pourraient ainsi “effectuer leurs achats dans tous les points de vente et dans tous les pays de la zone euro”, ce qui simplifierait radicalement de nombreuses transactions. En effet, l‘euro numérique, sans remplacer les autres moyens de paiement présentera notamment l’avantage de pouvoir réaliser des transactions beaucoup plus rapides que celles permises par les systèmes actuels. Selon la BCE, on se rapproche de l’instantanéité puisque les règlements interbancaires ne sont pas requis (autorisation donnée par le débiteur au créancier de prélever sur son compte une somme due à ce dernier). L’euro numérique sera donc censé permettre à chacun de faire des achats, d’envoyer et de recevoir de l’argent de façon plus simplifiée, en profitant des de l’essor des paiements par carte ou par smartphone, la monnaie fiduciaire étant de moins en moins utilisée.

Un moyen de résister aux cryptomonnaies 

Surtout, la création de l’euro numérique a pour motivation principale de contrer l’influence croissante des cryptomonnaies. Les banques centrales, et plus particulièrement la BCE, expriment une inquiétude face à la multiplication de ces dernières, les estimant dangereuses en raison notamment des failles au sein de leurs blockchains. 

Selon le gouverneur de la Banque de France, les devises numériques telles que le Bitcoin ou l’Ether ne désignent pas de véritables monnaies mais plutôt des cryptoactifs. Il est vrai qu’une cryptomonnaie n’est pas une monnaie car elle ne bénéficie pas d’un cours légal, dans aucun pays : son évaluation est dès lors complexe. De plus, les cryptomonnaies ne dépendent d’aucune institution et ne peuvent servir à l’épargne afin de constituer une valeur de réserve fiable, ce dernier point étant le plus critiqué par la BCE.

L’entrée d’entités privées dans le secteur des cryptomonnaies est aussi fortement appréhendée par le secteur financier traditionnel. Facebook (devenu Meta) avait ainsi, en 2019, initié un projet de création d’une monnaie numérique dite Diem. Ce projet avait pour objectif d’offrir aux utilisateurs un mode de paiement novateur, en dehors des canaux bancaires classiques. Face à une forte opposition des régulateurs et des banques, Meta a été contrainte de mettre fin à son projet en février 2022.

MNBC de détail ou MNBC de gros ?

La BCE entend mettre en place une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) de détail, c’est-à-dire pouvant être utilisée par l’ensemble des citoyens de l’Union européenne, afin de réaliser des paiements de la vie quotidienne. Le gouverneur de la Banque de France explique notamment qu’une MNBC de détail jouerait un réel rôle d’ancrage dans le monde numérique, comparable à celui joué par les billets dans le monde physique. 

À l’inverse, une MNBC de gros serait davantage au service des banques centrales et des institutions financières majeures, notamment dans la perspective d’une plus grande interopérabilité des paiements internationaux : Une MNBC de gros pourrait contribuer de manière significative à l’amélioration des paiements transfrontaliers et en devises”.

La vie privée mieux protégée par un euro numérique 

La protection de la vie privée est un enjeu de taille dans le cadre d’un tel projet, car elle va de pair avec la confiance accordée au processus par les utilisateurs. La consultation publique sur le projet d’euro numérique en avril 2021 a montré que la confidentialité est, pour 43 % des répondants, le point le plus primordial, suivi de la sécurité pour 18 %.

C’est pourquoi le Comité européen de la protection des données (CEPD) a insisté sur la nécessité d’un euro numérique protecteur de la vie privée dès sa conception, c’est-à-dire aligné avec le concept de Privacy By Design issu du règlement général de la protection des données (RGPD). Or, alors que les espèces permettent aujourd’hui une totale anonymisation des paiements, il n’est pas certain que l’euro numérique offre cette possibilité. Reste que l’anonymat des paiements, et donc l’absence de possibilité de traçage des achats, constitue un des obstacles à la lutte contre le blanchiment ou le financement du terrorisme.

Quel partenaire ? Le choix d’Amazon critiqué 

La Banque centrale européenne a, le 16 septembre 2022, dévoilé la liste des cinq partenaires sélectionnés afin de réaliser des prototypes d’interface utilisateur permettant de simuler des transactions réalisées au moyen de l’euro numérique. Il s’agit de CaixaBank, banque espagnole, en charge des paiements en ligne peer-to-peer, c’est-à-dire d’utilisateur à utilisateur. Il y a ensuite Worldline, spécialiste français des services de paiement qui sera en charge des paiements offline peer-to-peer (c’est-à-dire sans interrogation de la banque émettrice, comme les péages autoroutiers ou les guichets automatiques pour les petites sommes). Deux autres partenaires sont le consortium European Payment Initiative, en charge des paiements en point de vente initiés par le payeur (par une application, sans passer par les réseaux de cartes bancaires), et la société italienne Nexi, spécialiste en paiements électroniques, en charge des paiements en point de vente initiés par le commerçant. 

Le cinquième partenaire serait le géant américain Amazon, s’agissant des paiements sur les sites d’e-commerce, ce choix fait l’objet de nombreuses critiques. Curieux choix d’une entreprise américaine, en plein débat sur la souveraineté numérique telle que définie par le rapport de la commission d’enquête du Sénat de 2019 comme étant “la capacité de l’État à agir dans le cyberespace”. D’autant plus qu’Amazon est connu pour son manque de rigueur en termes de confidentialité, mais aussi pour ses choix fiscaux contestables. 


Dans le cadre d’un partenariat avec le Master 2 Droit des médias électroniques de l’Université d’Aix-Marseille, Les Surligneurs vous proposent une sélection d’articles entre novembre 2022 et janvier 2023. Plus d’articles peuvent être consultés sur le site internet de l’Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)

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