Interviewée sur BFM TV le 12 mars au sujet de la publicité faite pour la viande halal dans les supermarchés, Marion Maréchal a exprimé son hostilité à l’idée “que des manifestations de la Charia islamique soient mises au même niveau que d’autres traditions culturelles chrétiennes“, au motif notamment que “Noël, ou de Pâques (…) font partie de l’identité de la France“. D’autant que, a-t-elle précisé, “la France est un pays de racine chrétienne, la culture chrétienne fait partie intégrante de l’identité française, et à ce titre elle a un droit de prééminence sur le reste“.
Juridiquement, qu’implique une telle affirmation ?
Aucun culte n’a de quelconque prééminence
Un rappel historique s’impose avant tout : certes, le Concordat de 1801 conclu entre Napoléon et le Saint-Siège avait rétabli le culte catholique comme religion d’Etat, et constaté que “la religion catholique apostolique et romaine est la religion de la grande majorité des citoyens français“. La Charte de 1830, quant à elle, ne voyait plus dans la religion catholique que celle “professée par la majorité des Français“ selon son article 6. En revanche, depuis la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, le système des cultes reconnus est supprimé : il n’existe plus de religion d’Etat, donc plus de culte majoritaire. Ce dernier terme, comme celui de religion minoritaire du reste, est dès lors inapproprié. Les dispositions de 1905 sont valables pour les cultes qui existaient en France à l’époque, mais aussi pour ceux implantés postérieurement (comme les cultes musulman, bouddhiste, ou encore hindouiste), et également pour ceux à venir.
Ainsi, non seulement la loi de 1905 ne s’oppose nullement à l’implantation de nouveaux cultes, ou de dissidents des diverses religions, mais surtout, tous les cultes sont mis sur un même pied, peu importe leur ancienneté ou le nombre de fidèles. Tous sont considérés avec le même égard, sans faveur ni défaveur. A. Briand était d’ailleurs attaché au fait que « ce qui est accordé aux uns doit l’être à tous » (Rapport Briand, p. 321).
Telle est d’ailleurs la position du Conseil constitutionnel, qui considère que les dispositions de l’article 1er de la Constitution “interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers“ (Décision n°2004-505 D.C., 19 novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe).
Ce rappel étant fait, il est vrai que Marion Maréchal évoque la “culture chrétienne” et pas le “culte chrétien”. Mais elle en tire les mêmes conséquences que si elle traitait du culte, en se montrant hostile à ce que les fidèles des autres religions ne puissent librement exercer la leur notamment par de la publicité, tandis que, a contrario, les publicités pour les festivités et traditions chrétiennes seraient autorisées.
Une distinction entre cultuel et culturel à partir de 1905
La loi s’efforce de distinguer à la fois le cultuel, le culturel, et les droits des citoyens, qu’ils soient croyants ou non. Surtout, dans l’esprit du législateur, il était clair que les éléments religieux avant 1905 faisaient partie de son histoire, de son patrimoine, qu’il n’était pas question de nier ; après 1905 en revanche, la France devenait a-religieuse. Nous l’avions déjà souligné ici, les fêtes ou les jours religieux existant avant 1905 sont sans doute devenus culturels (comme le dimanche par exemple, dies dominicus). Mais si après 1905 toute extériorisation ou préférence religieuse de la part des personnes publiques est interdite, une personne privée, comme par exemple une entreprise de supermarchés, n’est pas soumise à une telle neutralité (sauf si elle exerce une mission de service public, ce qui n’est pas le cas d’un supermarché). La publicité relève de la liberté du commerce et de l’industrie qui est constitutionnelle comme nous l’avons rappelé, et promouvoir un produit n’est sans doute pas nécessairement un acte d’adhésion ou de prosélytisme… C’est pourquoi Marion Maréchal ne saurait interdire la publicité pour des produits, qu’ils soient cultuels ou culturels, sans motif sérieux ayant valeur constitutionnelle, comme par exemple l’objectif de maintien de l’ordre public. Et on ne voit pas en quoi la publicité pour des produits halal nuit à l’ordre public.
Supprimer certains congés spécifiques aux agents publics ?
Enfin la prééminence de la culture chrétienne impliquerait peut-être d’abroger cette circulaire du 10 février 2012 qui rappelle que les chefs de service (ou employeurs) des administrations ont la possibilité d’accorder aux agents qui désirent participer à des fêtes propres à leur confession des autorisations d’absence, dans la mesure où celles-ci demeurent compatibles avec le fonctionnement normal du service (Circulaire du 10 février 2012, relative aux autorisations d’absence pouvant être accordées à l’occasion des principales fêtes religieuses des différentes confessions). Les principales fêtes prises en compte au titre du calendrier des fêtes légales sont : pour les fêtes orthodoxes, la Théophanie, le Vendredi Saint et l’Ascension ; pour les fêtes arméniennes, la Fête de la Nativité, la Fête des saints Vartanants (victoire de Vartan Mamikonian sur les Perses), la Commémoration du 24 avril (victimes du génocide) ; pour les fêtes musulmanes, Al Mawlid Annabawi (naissance de Mahomet), Aïd-el-Fitr (rupture du jeûne), Aïd-el-Adha (fête du sacrifice d’Abraham) ; pour les fêtes juives, Chavouoth (Pentecôte), Roch Hachana (Jour de l’An), Yom Kippour (Jour du Grand Pardon) ; enfin la fête bouddhiste du Vesak (Jour du Bouddha).
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