Adnane, CC 4.0

Une note interne de la RATP interdit aux agents de souhaiter “joyeux Noël” aux usagers

Création : 12 janvier 2024

Auteur : Clément Benelbaz, maître de conférence HDR en droit public, Université Savoie Mont-Blanc

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : Europe 1, 8 janvier 2024

Ni la loi de 1905 ni celle du 24 août 2021 ne semblent proscrire de souhaiter “joyeux noël” au sein d’un service public, d’autant qu’il faudrait aller encore interdire le “bon dimanche”, jour de Dieu.

Chaque période de fêtes de fin d’année est l’occasion de débats ou de polémiques sur la laïcité, notamment dans les services publics. La RATP a rédigé en décembre 2023 une note interne, destinée aux employés chargés des animations des fêtes de fin d’année, leur demandant de respecter la neutralité et la Charte de la laïcité dans les services publics, de ne pas souhaiter un “joyeux Noël” mais plutôt de “joyeuses fêtes de fin d’année”, et d’éviter toute utilisation de symboles religieux, comme le calendrier de l’avent.

Si la RATP et ses agents sont soumis au principe de neutralité, ce dernier proscrit-il pour autant vraiment de souhaiter un “joyeux Noël” ?

L’EXTENSION DE LA NEUTRALITÉ À TOUT AGENT D’UN SERVICE PUBLIC

La neutralité du service public protège les agents mais aussi les usagers contre toute forme de discrimination. La totalité du service doit s’abstenir d’extérioriser une quelconque faveur, ou défaveur, à l’égard d’une conviction, politique, religieuse, ou philosophique (notamment depuis l’avis Marteaux du Conseil d’Etat du 3 mai 2000). Ce principe a été étendu par la Cour de cassation (décision du 19 mars 2013) à tout agent, quel que soit le service public (administratif, comme une préfecture, ou industriel et commercial, comme la RATP), mais aussi quel que soit le  gestionnaire dudit service, qu’il s’agisse d’une personne publique (comme une commune) ou d’une personne privée (comme un transporteur tel que la SNCF ou une entreprise de distribution d’eau).

La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République reprend en grande partie ces éléments, et rappelle que les agents doivent traiter tous les usagers de façon égale, en respectant leur liberté de conscience et leur dignité. Le texte prévoit d’ailleurs expressément que les entreprises ferroviaires, lorsqu’elles assurent des “services librement organisés de transport ferroviaire de voyageurs”, sont soumises à ces obligations. Nul doute alors que la RATP, et l’ensemble de ses agents, sont soumis à la neutralité, et se doivent de respecter la Charte de la laïcité.

Par conséquent, les agents ont l’interdiction stricte de porter des signes (Cour administrative d’appel de Lyon, 27 novembre 2003, Ben Abdallah), qu’ils soient en contact ou non avec le public. De même, tout acte de prosélytisme est sanctionné, comme le fait de distribuer des tracts à caractère religieux aux usagers (Conseil d’Etat, 19 février 2009, Bouvier). Il s’agit d’une faute grave et d’un manquement à l’honneur professionnel.

 Mais cela leur interdit-il de souhaiter un “joyeux Noël” ?

LE PRINCIPE DE NEUTRALITÉ N’INTERDIT SANS DOUTE PAS DE SOUHAITER UN JOYEUX NOËL

Si le principe de neutralité interdit aux agents des services publics de manifester une quelconque conviction religieuse ou autre, il semble peu probable que souhaiter un “joyeux Noël” montre une faveur de la part du service public à l’égard d’un culte, en l’occurrence catholique. La question implique finalement de se demander si Noël a un caractère religieux ou non. Or ce point fut discuté lors de l’adoption de la loi de 1905. A l’occasion des débats, certains députés envisagèrent d’instaurer un calendrier républicain, et de supprimer les fêtes religieuses pour les remplacer par des jours fériés laïques. Ces propositions furent rejetées : la loi ne pouvant valoir que pour l’avenir, les fêtes religieuses devaient rester des fêtes publiques, donc bénéficiant à tous. Noël en faisait partie. En définitive, ce qui était cultuel avant 1905, est devenu culturel. Après 1905 en revanche, toute extériorisation religieuse de la part d’une personne publique est en principe interdite par la loi.

Interdire de souhaiter un “joyeux Noël” devrait alors conduire à proscrire également de souhaiter un “bon dimanche” (étymologiquement dies dominicus, le jour du Seigneur). Si l’on suit la logique de la RATP, on peut ajouter que souhaiter de “joyeuses fêtes” ne serait pas plus laïc ni neutre : à cette période, il n’y a que deux fêtes en principe : Noël et le jour de l’an… de l’ère chrétienne. Faudrait-t-il également adapter les illuminations des villes ?

Invoquer la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ne saurait convaincre davantage : celle-ci ayant notamment pour objectif de lutter contre “l’islamisme radical” (exposé des motifs), on en est ici bien loin…

Par conséquent, interdire aux agents de souhaiter un “joyeux Noël” ne semble pas avoir de réel fondement juridique.

Contactée, la RATP n’a pas répondu à nos sollicitations.

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