Capture d'écran - Cnews

L’État apprend-il vraiment à des enfants de 11 ans à faire des anulingus ?

Création : 9 avril 2024

Autrice : Lili Pillot, journaliste

Relecteur : Vincent Couronne, chercheur associé en droit public au centre de recherches Versailles Institutions Publiques, enseignant en droit européen à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : Compte Facebook, 4 avril 2024

Sur le plateau de CNews, la psychologue Marie-Estelle Dupont affirmait mercredi 3 avril que des campagnes préventives de santé expliquent aux enfants de 11 ans comment faire un anulingus. Si le site du Gouvernement onsexprime, destiné aux 10-19 ans, en donne une définition et informe sur comment se protéger des IST, il ne fait aucune description détaillée et n’incite en rien les internautes à en pratiquer.

“Ce sont nos impôts qui financent des campagnes de Santé Publique France où on explique à des enfants de 11 ans comment faire un anulingus“. C’est en ces termes que Marie-Estelle Dupont s’exprimait à propos de l’éducation sexuelle des adolescents, sur Internet et à l’école. Invitée sur le plateau de L’Heure des Pros du mercredi 3 avril, elle intervenait au départ sur la thématique de l’école privée (à partir de 40 minutes).

L’information semble interloquer Pascal Praud qui insiste “À 11 ans ?“. Elle rétorque : “c’est accessible en ligne” et “tout […] est sourcé“. Sans l’évoquer directement, Marie-Estelle Dupont fait référence au site onsexprime.fr, financé et hébergé par l’établissement public Santé Publique France. Destiné aux adolescents âgés de 10 à 19 ans, il vise notamment à répondre aux questions que pourraient se poser les enfants de cette tranche d’âge à propos de sexualité.

Dans sa rubrique “Pratiques sexuelles, positions : comment on fait ?“, il détaille effectivement différentes pratiques de sexe oral, y compris l’anulingus. La définition reste succincte et n’entre pas dans le détail. Aucune image ne vient compléter l’explication. L’accent est mis sur la protection pour éviter la transmission d’infections sexuellement transmissibles (IST).

Cet onglet La sexualité n’est qu’un sujet parmi d’autres abordés sur onsexprime. On y parle de consentement, puberté, genre, relations amicales et familiales ou encore de prévention et de santé.

Les réponses qu’il apporte peuvent compléter les informations obtenues par les adolescents en heures d’éducation sexuelle, dispensées à l’école. Mais il n’existe aucun lien entre les deux. Il est donc aussi faux d’affirmer, comme le fait Marie-Estelle Dupont, que “l’école [apprend] comment faire un anulingus à 11 ans”, puisque le site onsexprime non seulement ne le dit pas, mais qu’il ne constitue aucunement le programme officiel d’éducation sexuelle à destination des enseignants.

À 11 ans, seule est prévue l’éducation à la vie affective 

Ce passage, qui a beaucoup fait réagir sur les réseaux, s’inscrit dans une autre actualité liée à l’éducation sexuelle des adolescents : la publication début mars du projet de programme du Conseil Supérieur des Programmes “Éducation à la sexualité“.

Commandé en mai 2023 par le ministre de l’Éducation Nationale de l’époque, Pap Nidaye, il vise à donner une orientation au futur programme du ministère, qui s’appliquera à la rentrée scolaire 2024. Contacté pour réagir à l’intervention de Marie-Estelle Dupont, le ministère répond que “les propos en question ne reposent sur aucune réalité”. 

Le rapport du Conseil se décline en deux volets : “éducation à la vie affective et relationnelle” (cycles 1 et 2) pour l’école maternelle et l’école élémentaire et “éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité” (cycles 3 et 4) pour le collège et le lycée. Dans ce rapport, aucune mention à la sexualité n’est faite avant le cycle 3.

Les principaux axes qui structurent le cycle 2, cycle de l’école élémentaire qui correspond aux enfants de 11 ans, visent uniquement l’éducation au relationnel et à l’affectif, sans aborder frontalement la thématique de la sexualité : “se connaître, vivre et grandir avec son corps“, “rencontrer les autres et construire des relations, s’y épanouir“, “trouver sa place dans la société, y être libre et responsable”.

Thomas Guiheneuve, co-fondateur et intervenant en prévention santé de l’Association Libertés Couleurs dans les écoles, indique “qu’à aucun moment on ne va parler de relations sexuelles aux enfants [de cette tranche d’âge], en tout cas sous l’angle pratique ! Si on est amené à en parler, c’est dans le cadre du lycée et parce que des élèves en ont fait la demande”.

Selon lui, il serait d’ailleurs hypocrite de censurer certaines explications sur la sexualité aux enfants et aux adolescents quand on sait que 20% des 11-12 ans ont déjà été exposés à des images pornographiques, selon un sondage OpinionWay de 2018.

Une affirmation fausse relayée par certaines associations

En dehors de cet extrait Facebook, Marie-Estelle Dupont critique aussi directement le rapport du Conseil supérieur des programmes, affirmant que “dans ce qui vient d’être validé, il n’y a rien sur la pornographie”. C’est faux : une simple recherche de mot clé permet de vérifier que la thématique est abordée une dizaine de fois.

Ambassadrice de L’Union pour la protection et la santé des enfants, une structure qui réunit des collectifs depuis la crise sanitaire y compris des associations réputées complotistes comme Mamans Louves, Marie-Estelle Dupont est régulièrement invitée sur Cnews pour parler de santé mentale chez les enfants et de sexualité. Il y a un an, le 6 avril 2023, elle était sur la chaîne pour parler d’un “cas de dérive” en cours d’éducation sexuelle dans une école, signalé par SOS Education, une association membre de l’Union pour la protection et la santé des enfants.

Cette dernière association, avec qui Les Surligneurs a tenté d’organiser une interview, sans succès, a retweeté l’intervention du 4 avril. La structure soutient régulièrement la thèse selon laquelle les enfants seraient menacés par la diffusion de l’idéologie du genre et autres propagandes #Woke à l’école mais se considère encore comme indépendante de tout mouvement politique, syndical, professionnel et confessionnel“.

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