Le rôle législatif du Parlement européen
Cet article est une republication mise à jour d’un article publié en 2019 pour les précédentes élections européennes.
Auteur : Thomas Destailleur, docteur en droit public, Université Polytechnique Hauts-de-France
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle et Grégoire Delcamp
Organe représentant les citoyens de l’Union européenne, le Parlement européen s’impose petit à petit dans la fabrication des normes européennes. À quelques jours des élections pour renouveler ses membres, retour sur son rôle législatif.
Le 9 juin prochain se tiendront les élections européennes en France. À cette occasion, les électeurs français participeront, avec ceux des autres États membres de l’Union européenne, au renouvellement des membres du Parlement européen, organe co-législateur de l’Union européenne. Petit point sur le rôle législatif du Parlement européen et de ses députés.
LE PARLEMENT EUROPÉEN ET LE CONSEIL, des co-législateurs
L’organisation du Parlement européen est différente de ce qui existe dans les États membres de l’Union. Contrairement au Parlement en France ou en Allemagne, le Parlement européen est composé d’une seule chambre.
Il partage sa fonction de législateur avec une autre institution, le Conseil de l’Union européenne, aussi appelé le Conseil, composé des ministres des gouvernements nationaux. Le conseil agit comme une chambre haute représentant les États dans la procédure législative et le Parlement européen est la chambre basse représentant les citoyens européens.
UN PARLEMENT EUROPÉEN PROGRESSIVEMENT REPRÉSENTATIF DES CITOYENS
Le Parlement européen et son rôle sont le fruit d’une évolution progressant d’une Union économique à une Union citoyenne qui se veut plus démocratique et représentative.
Avec le Traité des communautés économiques européennes de 1957, ses membres étaient désignés par les Parlements nationaux (article 138 du traité CEE) et il ne pouvait que donner son avis sur les projets d’actes législatifs que le Conseil entendait adopter. La Cour de justice de l’Union européenne avait soulevé en 1980 que le Parlement européen devait intervenir davantage dans le processus législatif afin de garantir selon elle “l’exercice du principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative”.
Les traités qui se sont succédés ont en conséquence conduit les États membres à valoriser de manière continue la place du Parlement européen au sein de l’Union européenne : 1979 marque les premières élections de ses membres au suffrage universel direct et le Parlement européen dispose désormais de pouvoirs législatifs bien plus étendus. Le Conseil conserve une position privilégiée mais ce dernier doit pleinement composer avec le Parlement européen pour l’adoption d’actes législatifs, laquelle obéit à deux procédures différentes, la procédure législative ordinaire et la procédure législative spéciale.
LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE ORDINAIRE : PARLEMENT ET CONSEIL À ÉGALITÉ
La procédure législative ordinaire est une procédure par laquelle le Parlement européen et le Conseil adoptent ensemble sur un même pied d’égalité un acte juridique pouvant être soit une directive, un règlement, ou une décision et dont la proposition émane de la Commission européenne (article 289 § 1 TFUE). Dans la pratique cependant, la Commission agit rarement seule, mais répond à des sollicitations émises par le Conseil ou le Parlement européen (par exemple le Parlement européen qui a demandé à la Commission en 1998 de se saisir de la question des perturbateurs endocriniens).
La procédure législative ordinaire oblige le Conseil et le Parlement à s’accorder sur un texte commun dont l’adoption obéit à une procédure formelle et éventuellement à une procédure informelle. Sur le plan formel, une proposition de la Commission est déposée au Conseil et au Parlement européen qui doit alors la transmettre à l’autre institution après avoir arrêté sa position. Le Parlement dispose à cet égard du droit de modifier la version initiale proposée par la Commission européenne et la version modifiée par le Conseil par le biais d’amendements. Dans le cadre de la directive sur le retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, le Parlement a ainsi usé de ce pouvoir de modification pour limiter l’hypothèse dans laquelle un enfant puisse être placé en rétention (amendement 10). Plus récemment, dans le cadre de la procédure sur l’ouverture à la concurrence des transports ferroviaires nationaux de voyageurs, le Parlement européen n’a pas hésité à faire usage des amendements pour préserver la marge d’appréciation des autorités locales lorsqu’elles définissent et mettent en place le service public ferroviaire – par exemple les conseils régionaux en France pour les services ferroviaires par TER – (voir les amendements 28 et 69).
LE CAS PARTICULIER DU TRILOGUE
Sur le plan informel, il peut exister durant la procédure législative des réunions entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil, appelées « trilogue », par lesquelles ces institutions négocient sur les désaccords potentiels ou avérés du texte. Ces réunions permettent dans la pratique d’éviter que le Conseil et le Parlement européen manifestent uniquement leurs divergences dans le cadre de la procédure formelle qui pourraient se solder par un échec de l’adoption du texte.
Lorsqu’un accord informel est trouvé entre les institutions, le texte devra ensuite être adopté séparément par le Conseil et par le Parlement européen. Si de telles réunions ont montré leur efficacité, à l’image par exemple de l’accord récent sur la directive relative aux droits d’auteurs, elles se caractérisent par un manque de transparence (les réunions et les débats reste opaques).
LA PROCÉDURE LÉGISLATIVE SPÉCIALE : LE PARLEMENT EUROPÉEN ÉCARTÉ AU PROFIT DU CONSEIL
Au contraire de la procédure législative ordinaire, la procédure législative spéciale renvoie à des situations dans lesquelles un déséquilibre dans le processus d’adoption d’actes législatifs persiste entre les deux co-législateurs. Formellement, cette procédure vise la situation dans laquelle un acte est adopté par le Conseil avec la participation du Parlement européen ou inversement (article 289 § 2 TFUE). En réalité pourtant, les hypothèses se révèlent largement favorables au Conseil.
Les États membres ont en effet souhaité que seuls les représentants des gouvernements (le Conseil) conservent le contrôle sur des sujets particulièrement sensibles. Le contrôle du Parlement européen n’est pas inexistant, mais il est très variable.
La procédure spéciale intervient dans certains cas. Par exemple, si toute personne ayant la nationalité d’un des États membres de l’Union et résidant dans un autre État membre peut voter et être élue aux élections municipales de cet État, c’est le Conseil qui en détermine les modalités et les conséquences après consultation du Parlement (article 22 § 1 TFUE). Il a par exemple décidé qu’un État membre est libre d’interdire à un tel élu de prendre part à l’élection des membres d’une assemblée parlementaire (article 5 § 4 de la directive 94/80), hypothèse reprise en France, le code électoral interdit à toute personne n’ayant pas la nationalité française de faire partie du collège électoral élisant les membres du Sénat (article L286-1 du code électoral). Ici, le Parlement européen doit uniquement être consulté, son avis n’a juridiquement aucune influence sur la position du Conseil.
Dans d’autres situations pourtant, le Parlement européen dispose d’un pouvoir plus contraignant. La mise en place d’un Parquet européen destiné à lutter contre la fraude fiscale repose ainsi certes sur une décision du Conseil, mais elle ne peut s’exercer qu’après approbation du Parlement européen (article 86 § 1 TFUE). Concrètement, cela signifie que le Parlement dispose d’un droit de veto sur le projet du Conseil, l’obligeant alors dans le cadre de réunions informelles à négocier avec lui pour éviter une telle issue. Plus contraignant que la simple consultation, l’approbation ne donne cependant pas au Parlement un pouvoir équivalent à celui dont il dispose à travers la procédure législative ordinaire. Il ne peut en effet pas influer sur l’ensemble du contenu de l’acte mais seulement en porter une appréciation globale. Cette exigence d’approbation du Parlement européen se retrouve d’ailleurs au-delà de la seule adoption d’actes législatifs et lui permet de peser dans des matières d’une grande sensibilité. Elle vaut ainsi pour les accords internationaux signés par le Conseil et négociés par la Commission européenne tels que le traité CETA (article 218 § 6 TFUE).
En conclusion, la diversité des pouvoirs dont dispose le Parlement européen lui a permis progressivement de s’affirmer comme un véritable co-législateur et une institution incontournable de l’Union européenne.
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.