Le préfet du Doubs crée un périmètre de protection et interdit tout rassemblement le 27 avril pour une visite du Président de la République
Dernière modification : 2 mai 2023
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani
Source : Arrêté n° 25-2023 du préfet du Doubs instaurant un périmètre de protection dans la cadre du déplacement du Président de la République (…) et portant interdiction de manifester sur la commune de La Cluse-et-Mijoux.
Comme pour l’arrêté du préfet de l’Hérault et celui du préfet du Loir-et-Cher qui a été suspendu, l’arrêté du préfet du Doubs, censé protéger le Président de tout risque physique, est surtout fait pour empêcher toute manifestation par un périmètre et une interdiction de rassemblement sous couvert de sécurité. Aucun trouble précis n’est invoqué, il y a disproportion, de quoi inciter le juge à suspendre
Alors que l’arrêté du préfet du Loir-et-Cher vient d’être suspendu par le tribunal administratif d’Orléans à l’occasion de la visite du Président Macron à Vendôme, un autre préfet tente la même manœuvre dans le Doubs, où le Président doit se rendre le 27 avril pour une commémoration du 175° anniversaire de l’abolition de l’esclavage. L’arrêté en cause et les faits sont différents, mais sa légalité reste plus que douteuse.
Les contestations sociales ne sont plus assimilées à du terrorisme
Certes, les services préfectoraux ont appris des précédents et renforcé le fondement juridique de leur arrêté : celui-ci n’est plus seulement fondé sur l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure, qui concerne les risques terroristes et autorise des périmètres de protection à cet effet. Le préfet invoque aussi l’article L. 211-4 du même code, qui lui permet d’interdire toute manifestation « de nature à troubler l’ordre public », dans un périmètre donné. Ensuite, les motifs de l’arrêté (qui sont obligatoires s’agissant d’une restriction des libertés) sont plus détaillés : il s’agit d’éviter la « réitération » de la « dégradation de biens publics » et d’autres « troubles » liés à la réforme des retraites. La contestation sociale n’est donc plus une forme de terrorisme, c’est un progrès.
Mais le flou sur les « troubles » redoutés demeure…
Cela précisé, le préfet du Doubs n’a pas pu tirer les conséquences du jugement du tribunal administratif d’Orléans du 25 avril (obtenu par le compte Twitter du collègue Serge Slama), qui a suspendu l’arrêté du préfet du Loir-et-Cher. Cette suspension a été prononcée en raison de deux défauts majeurs de légalité, qu’on retrouvait d’ailleurs dans l’arrêté du préfet de l’Hérault dont les Surligneurs avaient aussi mis l’illégalité en évidence.
D’abord, et comme à Vendôme, le préfet du Doubs ne précise pas en quoi, dans les lieux concernés (le château de Joux et le Fort de Mahler, à La Cluse-et-Mijoux), il y aurait des « circonstances particulières » justifiant le périmètre de protection et donc l’atteinte à la liberté d’aller et venir. S’il existe de telles circonstances, et si le préfet ne pouvait l’écrire dans un arrêté publié pour des raisons de sécurité, il devra toutefois s’en justifier devant le juge. Il est vrai que la configuration des lieux (en pleine montagne) est particulière, car moins contrôlable. Mais cela reste mince comme argumentaire.
Ensuite, l’arrêté interdit, le 27 avril en journée et sur tout le territoire de la commune de La Cluse-et-Mijoux, tout rassemblement, toute manifestation, toute arme y compris par destination (un objet pouvant servir d’arme), tout « contenant en verre », et bien sûr tout « dispositif sonore portatif (porte-voix) ». Cette dernière notion est détaillée cette fois, et n’inclut plus les casseroles. Mais comme les manifestations sont interdites, la question des casseroles ne se pose plus.
…Ainsi que la disproportion
Si on résume, le périmètre de protection antiterroriste ne concerne que le château de Joux et le Fort Malher, en hauteur, tandis que l’interdiction de manifester concerne l’ensemble de la commune de La Cluse-et-Mijoux en plaine, de 9 heures à 16 heures, soit la même durée que celle du périmètre de protection antiterroriste. Une fois encore, on perçoit une disproportion entre le moyen (l’interdiction complète de tout rassemblement toute la journée dans toute la commune), qui supprime toute liberté d’expression, et le but : protéger le président, qui pourtant bénéficie déjà en tout temps d’une protection rapprochée, et qui bénéficiera aussi du périmètre de protection antiterroriste. D’autant que le risque de troubles à l’ordre public est énoncé de façon très stéréotypée et vague. Et le juge n’aime pas cela non plus, comme on l’a dit.
Course poursuite entre juge et préfet
En référé-liberté, le juge doit se prononcer dans les quarante-huit heures. L’arrêté a été publié le 25, le juge aussitôt saisi est censé se prononcer dans la journée du 27, soit le jour même de la visite présidentielle. S’il tarde, son ordonnance n’aura pas servi à grand-chose. Déjà, s’agissant des réquisitions, on avait pu repérer aux Surligneurs l’habileté des préfets neutraliser la justice et les justiciables en les prenant de vitesse : publier l’arrêté le plus tard possible pour que le juge n’ait pas le temps de statuer. On verra si, dans le Doubs, le juge apprécie d’être ainsi mis sous pression.
Contactée, la préfecture n’a pas répondu à notre sollicitation.
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.