Jonaslange, CC 3.0

Le préfet de l’Hérault interdit par arrêté les “dispositifs sonores portatifs” à l’occasion de la visite du Président Macron à Ganges

Création : 24 avril 2023
Dernière modification : 27 avril 2023

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Relectrice : Isabelle Muller-Quoy, maître de conférences, Université de Picardie Jules Verne

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani

Source : Arrêté préfectoral n° 2023.04.DS.0187 du 19 avril 2023 instaurant un périmètre de protection sur le département de l’Hérault à l’occasion de la visite officielle du président de la République le 20 avril 2023

L’arrêté interdisant les casseroles, comme il a été généralement interprété, est fondé sur une loi antiterroriste, ce qui pose problème. Surtout : on ne voit pas bien en quoi les casseroles pouvaient constituer une menace terroriste ou même simplement à l’ordre public.

En vue de la visite du Président de la République dans la commune de Ganges dans l’Hérault, le 20 avril 2023, le préfet du département a pris un arrêté s’appliquant le jour même, interdisant, dans un périmètre dit de protection, “le port, le transport et l’utilisation des artifices de divertissement, des articles pyrotechniques, des armes à feu, y compris factice (…) ainsi que tous objets susceptibles de constituer une arme à feu”… ainsi que “l’usage de dispositifs sonores portatifs ou émanant de véhicules non dûment autorisés”.  

Cet arrêté du 20 avril est critiqué et attaqué devant le juge administratif par certaines associations. Elles ne contestent pas l’instauration d’un périmètre, très classique et indispensable hélas compte tenu d’un contexte où les violences à l’égard des personnalités politiques se multiplient et où cette menace se cumule avec le risque terroriste toujours présent – et on se gardera, y compris en droit, de confondre les deux. La critique porte sur deux aspects de cet arrêté.

Un fondement juridique approximatif : une loi anti-terroriste

D’abord le fondement juridique, autrement dit la loi que cet arrêté préfectoral vient appliquer et dont il tire sa légalité. Il s’agit de l’article L. 226-1 du Code de la sécurité intérieure, visé par l’arrêté : “Afin d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement exposé à un risque d’actes de terrorisme à raison de sa nature et de l’ampleur de sa fréquentation, le représentant de l’Etat dans le département (…)  peut instituer par arrêté motivé un périmètre de protection au sein duquel l’accès et la circulation des personnes sont réglementés”. Le préfet justifie ainsi son arrêté par le “niveau maximal de menace terroriste” et par le fait que le Président “représente de fait une cible symbolique extrêmement forte compte tenu notamment du contexte social actuel”. 

Du socio-terrorisme ?

On pourrait ergoter sur ce mélange des genres entre un terrorisme d’origine islamiste pudiquement sous-entendu dans l’adverbe “notamment”, et un terrorisme qui serait induit par le contexte social (un socio-terrorisme ?). Il n’est certes pas exclu que ce contexte ait pu alimenter une haine à l’égard du Chef de l’État chez certains, si forte qu’ils en viendraient à attenter à ses jours à l’occasion d’un déplacement officiel. S’agirait-il pour autant de terrorisme ? Le Code pénal définit ainsi cette notion : “Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes : (notamment) Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport”. 

S’en prendre à la personne du Chef de l’État, le blesser voire le tuer, constitue évidemment une infraction grave. Mais il s’agirait d’un délit ou d’un crime guidé par la haine, pas par la volonté “de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur”. Le fondement de la loi anti-terroriste ne semble donc pas approprié. Pour autant il est peu probable qu’un juge annule l’arrêté sur ce seul motif : d’une part, le juge refuse en principe de se substituer à l’appréciation de l’administration sur la réalité de la menace terroriste ; d’autre part, le préfet aurait pu prendre la même mesure sur un autre fondement, celui de l’article L. 211-3 du code de la sécurité intérieure, notamment dans la crainte de manifestations non déclarées : “si les circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public (… le préfet…) peut interdire (…) le port et le transport, sans motif légitime, d’objets pouvant constituer une arme (…). L’aire géographique où s’applique cette interdiction se limite aux lieux de la manifestation, aux lieux avoisinants et à leurs accès, son étendue devant demeurer proportionnée aux nécessités que font apparaître les circonstances”. Or dans le cas d’une visite officielle, il ne s’agit pas seulement d’empêcher une manifestation non déclarée, mais aussi de protéger le chef de l’État. 

Quel rapport entre une casserole et le terrorisme ?

Ce qui a ensuite le plus heurté les observateurs est l’interdiction, dans le périmètre de protection, de “l’usage de dispositifs sonores portatifs ou émanant de véhicules non dûment autorisés”. Il semble que tout le monde ait interprété ce galimatias comme l’interdiction des casseroles, y compris les gendarmes, même si, hors contexte, on penserait plutôt à des mégaphones ou des enceintes portatives. En tout état de cause, il ne s’agit pas d’armes au sens des textes qui précèdent (une casserole peut faire mal, mais pratiquement tout objet bien manipulé fait mal). Ce ne sont pas non plus des objets permettant la commission d’actes de terrorisme, comme un véhicule qui serait bourré d’explosifs ou utilisé comme bélier pour renverser et tuer ou blesser un maximum de personnes.

Interdire les casseroles, voire même les mégaphones et enceintes par un arrêté fondé sur une loi antiterroriste pose donc problème, car toute mesure de police, pour être légale, doit répondre à une triple exigence. Celle premièrement de la nécessité de la mesure : l’interdiction des casseroles était-elle nécessaire à la protection physique du chef de l’État ? Le juge vérifiera s’il y a erreur manifeste de la part du préfet. De notre point de vue, le chef de l’État n’aurait manifestement pas été menacé par des personnes tapant sur des casseroles, il suffisait à la limite de les tenir à distance de la personne même du Président. La seconde exigence est celle de l’adéquation de la mesure : l’interdiction des casseroles, et même des mégaphones ou enceintes, était-elle de nature à éviter le risque terroriste invoqué par le préfet ? La réponse nous semble être dans la question. Troisième exigence enfin, la proportionnalité de la mesure : les casseroles avaient vocation dans le cas présent à servir de moyen d’expression contre la réforme des retraites, et aucun moyen d’expression ne peut être interdit tant qu’il ne crée pas de trouble à l’ordre public. Le préfet n’invoque, dans son arrêté, aucun trouble spécifique qui serait lié à l’usage de casseroles comme moyen d’expression, pas même le bruit. L’interdiction est donc illégale. 

Enfin, qu’un concert de casseroles puisse affecter l’image ou la sérénité du Président lors d’une visite officielle, ce n’est pas non plus un trouble à l’ordre public justifiant une interdiction. Pas en démocratie en tout cas. 

La préfecture n’a pas répondu à notre sollicitation.


Mise à jour du 26 avril 2023 : illégalité confirmée
Au jour où cet article était publié, un jugement du tribunal administratif d’Orléans venait d’annuler l’arrêté du préfet créant un périmètre de protection pour la visite du Président de la République à Vendôme, sur le fondement de la loi antiterroriste.

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