Le préfet de l’Isère introduit un “déféré-laïcité” devant le juge contre la délibération autorisant le burkini dans les piscines de Grenoble

Création : 18 mai 2022
Dernière modification : 2 juin 2022

Auteur : Guillaume Baticle, master de droit public, Université de Picardie Jules Verne 

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction Emma Cacciamani et Loïc Héreng

Source : Communiqué de presse de la préfecture de l'Isère, 15 mai 2022

Le principe de laïcité ne s’applique pas aux usagers des services publics, que sont les baigneurs dans une piscine municipale. De plus, selon le juge, un vêtement religieux ne porte pas en lui-même atteinte à la laïcité sauf si la loi le prévoit. Donc, peu de chances que ce référé aboutisse, sauf peut-être sur la procédure : en principe, ce n’est pas au conseil municipal de rédiger le règlement intérieur d’une piscine.

Après la délibération municipale de Grenoble qui autorise le port du burkini (même si ce vêtement n’est pas expressément mentionné) dans les piscines municipales, le préfet de l’Isère annonce engager un “déféré-laïcité” devant le tribunal administratif. Il s’appuie en effet sur cette nouvelle procédure d’urgence, créée par la loi contre le séparatisme. Il entend demander au juge de suspendre la délibération du conseil municipal de Grenoble, en tant qu’elle autorise de fait le port du burkini dans les piscines municipales, en invoquant une atteinte au principe de laïcité.

Or, la laïcité, un des principes cardinaux du service public posé par la loi de 1905, ne s’applique pas de la même manière aux usagers des services publics et aux agents de ces services publics, comme nous l’avions déjà rappelé. S’il est interdit aux agents en charge du service public de porter une marque d’appartenance religieuse trop voyante (Conseil d’État, dans un avis de 2000), les usagers jouissent d’une totale liberté (sauf exception prévue par la loi), pourvu que cela ne porte pas atteinte au bon fonctionnement du service. Au contraire, la laïcité leur garantit l’égalité devant le service public. Dans le cas présent, la délibération municipale modifie le règlement intérieur des piscines et notamment les caractéristiques des vêtements autorisés pour les usagers. Or, le burkini atteste en principe de l’appartenance à une religion, mais pour autant il ne porte pas atteinte en lui-même au principe de laïcité. 

Le juge administratif s’est déjà prononcé sur ce sujet, et en a conclu que le port du burkini à la plage n’est pas incompatible avec le principe de laïcité, sauf trouble à l’ordre public. Pour reprendre cette décision de 2016 : “il ne résulte pas de l’instruction que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté, sur les plages de la commune de Villeneuve-Loubet, de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes”. Le burkini n’est donc pas un problème en soi, mais il peut le devenir en raison d’autres circonstances, comme le comportement des personnes qui le portent, ou d’autres troubles, comme cela a pu arriver. En l’occurrence, le juge donna raison au maire de Sisco (Corse) qui avait interdit le burkini sur les plages, en raison des tensions et des violences qui surgirent à cette occasion.

Seule une loi pourrait interdire une tenue au sein des services publics ou dans l’espace public du service. C’est le cas depuis une loi de 2004 pour les élèves d’école, de collège et de lycée, usagers du service, qui ne doivent pas témoigner d’une quelconque appartenance religieuse. C’est aussi le cas du voile dit “intégral dans l’espace public. 

Sauf si le juge venait à modifier sa vision de la laïcité, la seule faille de cette délibération grenobloise semble résider dans la procédure : le règlement intérieur d’une piscine municipale relève normalement du maire et pas du conseil municipal. Le maire de Grenoble a tenu à assurer une certaine légitimité à sa décision en s’appuyant sur son conseil municipal. Mais en droit, il lui appartenait de prendre lui-même cette décision. Cela ne change rien sur le fond, mais cela pourrait bien donner raison au préfet sur la procédure.

Contactée, la préfecture ne nous a pas apporté de précision sur son argumentaire. 

  

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