Le ministre des finances Bruno Le Maire pourrait revenir sur la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés. Que dira le Conseil constitutionnel ?
Dernière modification : 17 juin 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public
Source : Grand-Rendez-vous Europe 1/Cnews/Les Echos, 6 janvier 2019
Le Conseil constitutionnel a clairement soumis le maintien de la taxe d’habitation pour 20 % des contribuables à la mise en œuvre d’une « réforme annoncée de la fiscalité locale », pour des raisons d’égalité. Si Bruno Le Maire annonce le maintien de cette taxation isolée sans maintenir la réforme globale promise parallèlement, le Conseil constitutionnel pourrait bien mettre à exécution les menaces qu’il a émises lorsqu’il a approuvé la suppression de la taxe pour les 80 % de contribuables, à savoir obliger le gouvernement à exonérer 100 % des contribuables.
Promesse du candidat Emmanuel Macron aux élections présidentielles (voir son programme, p. 28), la suppression progressive de la taxe d’habitation pour 80 % des français a été mise en œuvre dès la loi de finances pour 2018. 20 % des français restent donc assujettis à ce jour. Mais dans sa décision concernant la loi de finances pour 2018, le Conseil constitutionnel a clairement présenté cette réforme comme provisoire, car contraire au principe d’égalité devant l’impôt. En particulier, le Conseil constitutionnel a insisté sur le fait que cette réforme a « été présentée au Parlement comme constitutive d’une étape dans la perspective d’une réforme plus globale de la fiscalité locale » (paragraphe 12). L’inégalité qui en résulte entre ceux qui n’acquittent plus la taxe d’habitation et ceux qui y restent assujettis ne devrait durer que jusqu’à cette réforme globale, qui est aussi une promesse électorale du Président Emmanuel Macron.
Si ce type de réserve du Conseil constitutionnel n’est pas facile à interpréter concrètement, la menace devient plus concrète au paragraphe 15 : il valide la suppression progressive de la taxe pour 80 % des contribuables, « sans préjudice de la possibilité pour le Conseil constitutionnel de réexaminer ces questions en fonction notamment de la façon dont sera traitée la situation des contribuables restant assujettis à la taxe d’habitation dans le cadre d’une réforme annoncée de la fiscalité locale ». Et il insiste sur ce point dans le communiqué de presse qui accompagne la décision.
En d’autres termes, si le gouvernement ne présentait pas pour 2020 ou 2021 la réforme annoncée, qui permettrait de remettre à plat toute la fiscalité locale et l’ensemble des inégalités qu’elle a pu engendrer en vieillissant, il se pourrait que le prolongement de la situation actuelle soit censuré par le Conseil constitutionnel, soit à l’occasion des lois de finances à venir, soit encore à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Reste à savoir en quoi la distinction créée par la loi actuelle entre les 80 % d’exonérés et les 20 % restant assujettis est inégalitaire du point de vue de la Constitution. Car après tout l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) touche certaines personnes et pas d’autres, sans qu’il y ait inégalité selon le Conseil constitutionnel. De même, personne ne remet en cause la progressivité de l’impôt sur le revenu qui fait qu’on est plus imposé si on gagne plus. C’est oublier une exigence du Conseil constitutionnel lorsqu’il examine la loi : la logique, la cohérence de la fiscalité.
Ainsi, le Conseil constitutionnel rappelle (paragraphe 9) que « pour assurer le respect du principe d’égalité, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose ». L’inégalité entre les contribuables doit être, sinon approuvée, au moins comprise par eux, et reposer sur le principe d’adéquation des moyens (le régime fiscal) aux buts (une meilleur redistribution des richesses). C’est pourquoi le Conseil constitutionnel exige que si inégalité il y doit y avoir, cette inégalité doit reposer sur des « critères objectifs et rationnels en fonction des buts ». Sinon, et c’est ce qui ressort de sa décision, il y a « rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ».
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