Éric Piolle sur l’interdiction du burkini : le Conseil d’État “retoque 10 cm de jupette, j’en prends acte”

Création : 24 juin 2022
Dernière modification : 28 septembre 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng

Source : France Info, 22 juin 2022

Le juge n’a en rien “retoqué” ni condamné le burkini. Il a condamné la décision de la ville qui autorise cette tenue de bain de façon quasi explicite, au mépris des principes de laïcité et d’égalité entre usagers.

Par sa décision très commentée du 21 juin 2022, le Conseil d’État vient de confirmer la décision du tribunal administratif de Grenoble du 25 mai 2022, suspendant le règlement des piscines de Grenoble à la demande du préfet de l’Isère. En clair, le règlement des piscines grenobloises qui avait été modifié pour permettre aux femmes de porter le burkini a été une première fois suspendu par le tribunal, et en appel le Conseil d’État a confirmé cette suspension, ce qui fait que l’ancien règlement des piscines, interdisant tout vêtement trop ample (donc entre autres le burkini), redevient le règlement en vigueur. Pour autant, Éric Piolle, maire de Grenoble, se méprend sur le sens de la décision du juge.

Le Conseil d’État n’a aucunement condamné les “jupettes” à la piscine

Le juge n’a en aucun cas “retoqué 10 cm de jupette”, cette façon de voir étant très réductrice et ne rendant pas compte du raisonnement du juge. Comme nous l’avions dit, ce n’est pas le burkini en soi qui posait problème, encore moins quant au principe de laïcité, principe auquel les usagers des piscines ne sont pas soumis. Lorsque le règlement des piscines a été modifié au grand dam de l’opposition municipale et du préfet de l’Isère, la plupart des juristes – et nous aussi ! – avaient parié que le juge donnerait raison à Éric Piolle, sur la base de la jurisprudence habituelle sur le burkini. Mais le juge nous a pris à contrepied : il faut dire qu’il avait le texte du règlement sous les yeux et des éléments factuels que nous n’avions pas. Ce qui posait problème n’était en rien le burkini, mais la décision de l’autoriser. 

Le Conseil d’État a condamné la décision d’autoriser le burkini, pas le burkini

Si l’usager n’est pas soumis au principe de laïcité, le service public l’est. Il ne peut donc prendre aucune mesure en fonction d’une religion. Or la modification du règlement des piscines était trop “ciblée” vers une religion. Écoutons le juge : “il apparaît que cette dérogation très ciblée répond en réalité au seul souhait de la commune de satisfaire à une demande d’une catégorie d’usagers et non pas, comme elle l’affirme, de tous les usagers”. Il en résulte que ce n’est pas la baigneuse qui enfreint le principe de laïcité, mais le service public, qui sans autoriser explicitement le burkini a autorisé un vêtement qui y ressemble en tous points. La même décision aurait été prise si la commune avait autorisé en la décrivant, mais sans la nommer, une soutane comme costume de bain. Le juge ne n’est pas laissé berner, d’autant que cela posait un problème d’égalité : pourquoi le burkini et pas le maillot tsniout (maillot en forme de robe pour femmes juives religieuses) et pas la soutane ? C’est donc bien une revendication religieuse que la mairie satisfaisait, et c’est interdit. 

Le burkini est-il compatible avec la baignade en piscine ? 

Si Éric Piolle – qui n’a pas répondu à nos sollicitations – veut de nouveau que les femmes musulmanes puissent se baigner dans les piscines grenobloises en burkini, cette décision du Conseil d’État va lui donner bien du mal. Car sans condamner le burkini, elle rend l’autorisation très délicate. En effet, les tenues de bain dans les piscines sont réglementées pour des raisons évidentes de santé publique. Un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) de 2012, émet des préconisations généralement suivies par les communes. Ces préconisations portent sur la tenue de bain, mais aussi sur les précautions comme les douches, lavages de pieds, etc. Toute dérogation doit être à la fois compatible avec cet impératif d’ordre public (sans quoi le juge sanctionne), et avec le principe de laïcité comme celui de l’égalité entre les usagers, quelle que soit leur religion (sans quoi le juge sanctionne aussi !).

Une piste ? L’avis de l’ANSES ne porte pas sur le caractère moulant ou pas des tenues, ce qui en théorie résout le problème de la jupette du burkini. Il porte surtout sur le caractère “exclusivement réservé à la baignade” de la tenue. En somme, un burkini exclusivement réservé à la baignade pourrait être autorisé, si toutes les tenues exclusivement réservées à la baignade le sont aussi. Le problème est de définir ces tenues et de limiter les abus : le risque est qu’un énergumène plonge déguisé en superman, en prétextant, même sincèrement, qu’il ne porte son accoutrement qu’à la piscine…

Contacté, Éric Piolle n’a pas répondu à nos sollicitations.

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