Déclarations du patron de la police à propos du policier en détention provisoire : une indignation sélective ?

Création : 24 juillet 2023
Dernière modification : 25 juillet 2023

Juliette Bezat, journaliste

Audrey Darsonville, professeure de droit privé et de sciences criminelles, Université Paris Ouest Nanterre

Clotilde Jegousse, journaliste

“Avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison”. Les mots du patron de la police, Frédéric Veaux, dans un entretien au Parisien, ont provoqué un tollé dans les mondes politique et judiciaire. Cette prise de position pose avant tout la question de la rupture d’égalité entre citoyens policiers et non policiers dans le traitement judiciaire.

“Le savoir en prison m’empêche de dormir.” Hier dimanche 23 juillet, au lendemain de sa visite auprès des policiers de la brigade anticriminalité (BAC) qui protestent contre la mise en détention provisoire d’un de leurs collègues, le Directeur général de la Police nationale (DGPN) s’est exprimé sur le sort du policier marseillais, accusé de violences en marge des émeutes urbaines après la mort de Nahel. Des propos, soutenus par Laurent Nunez, Préfet de police de Paris, qui suscitent une vague d’indignation : ils interrogent l’égalité entre les citoyens policiers et non policiers devant le traitement judiciaire.

Le principe de liberté prévaut pour tous les justiciables, policiers inclus

Lorsqu’une information judiciaire est ouverte, le principe qui prévaut pour tous les justiciables est celui de la liberté. Le code de procédure pénale dispose en effet que “toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre”.

Le même code prévoit cependant la possibilité pour le juge d’instruction de soumettre la personne mise en examen à certains dispositifs “en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté”. Il peut ainsi décider d’astreindre la personne à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire (par exemple limiter ses déplacements, confisquer son passeport) ou, si celles-ci se révèlent insuffisantes, à une assignation à résidence avec surveillance électronique. Si ces dispositifs ne permettent pas d’assurer le bon déroulement de l’instruction, le juge d’instruction et le juge des libertés et de la détention (JLD) peuvent décider de placer la personne en détention provisoire.

Parce qu’il s’agit de la mesure la plus attentatoire à la liberté d’une personne mise en examen, l’incarcération ne doit intervenir qu’en dernier recours. Sur les quatre policiers mis en examen, jeudi 20 juillet, pour des violences sur un jeune homme de 21 ans – qui a été hospitalisé et momentanément plongé dans le coma – trois sont d’ailleurs rentrés chez eux, et placés sous contrôle judiciaire. Ils seront jugés pour “pour violences en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique avec usage ou menace d’une arme ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours”.

Détention provisoire : quels critères ?

La détention provisoire est soumise à plusieurs conditions. Tout d’abord, elle ne peut intervenir que pour certaines infractions, plus précisément en cas de crime ou de délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement. Selon l’article 222-12 du code pénal, les violences par une personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une incapacité totale de plus de huit jours sont punies de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 d’amende. Dans ce cas précis, ce premier critère semble donc rempli.

Elle doit aussi être justifiée par des motifs bien précis : prévenir les risques de destruction des preuves ou indices, empêcher la pression sur les témoins ou victimes, empêcher la concertation frauduleuse entre les coauteurs de crime ou délits ou entre complices, protéger la personne mise en examen, garantir la présentation de la personne devant la justice, mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement, ou encore “mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par l’infraction” Un dernier motif qui pourrait avoir pesé dans la balance, dans le contexte explosif du début du mois de juillet.

Une rupture d’égalité entre citoyens policiers et non policiers dans le traitement judiciaire 

En considérant que “de façon générale, un policier n’a pas sa place en prison même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail” et qu’il faut “tenir compte des garanties dont il bénéficie et qui le distinguent des malfaiteurs ou des voyous”, le Directeur de la Police et le préfet de police de Paris considèrent que les policiers devraient bénéficier d’un régime spécial. Or, “de façon générale”, tout justiciable doit rester libre tant qu’il n’y a pas eu de procès, sauf exceptions exposées précédemment. Il ne s’agit donc pas là d’une faveur à accorder aux policiers, qui bénéficient du même traitement que n’importe quel autre justiciable.

Dès lors que les conditions sont remplies, ils peuvent donc être placés en détention provisoire. On ne peut néanmoins que se réjouir du nouvel intérêt du patron de la police pour les possibles recours abusifs à la détention provisoire, et pour les conditions de vie en détention. Malgré une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2020, notamment pour le “manque d’espace personnel” des détenus, sur la base de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui protège la dignité humaine, la France incarcère de plus en plus. Le 1er juin dernier, un record historique de 73 162 personnes incarcérées a été atteint, portant la densité carcérale à 121,7%, contre 118,1% il y a un an, selon Ouest France. Les placements en détention provisoires, qui concernaient près de 20 000 personnes au 1er novembre 2023, contribuent sensiblement à cette surpopulation carcérale. Dommage que le sujet ne soit sur la table que lorsque les policiers sont en grève…

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