COVID-19 : Gérald Le Corre (CGT) réclame un texte qui rendrait “très simplement” le télétravail obligatoire, avec une “sanction pénale extrêmement dissuasive”

Création : 26 mars 2021
Dernière modification : 21 juin 2022

Auteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, Laboratoire Droit et changement social, Université de Nantes

Source : France Info, Interview, 24 mars 2021

On ne met pas “très simplement” en place le télétravail généralisé et obligatoire par ordonnance. Non seulement ce serait contraire à la Constitution, mais l’organisation du travail et la santé des employés sont le fruit de dispositions très détaillées prenant en compte chaque type de situation, comme cela existe pour tous les autres risques liés au travail. Il faut éviter les risques pour les travailleurs, mais aussi les ambiguïtés ou les obligations imprécises qui conduiraient des employeurs pourtant de bonne foi devant le juge pénal.

Interviewé par France Info, le 24 mars 2021, Gérald Le Corre, représentant CGT du ministère du Travail et inspecteur du travail, explique que “contrairement à ce que répète le gouvernement, le télétravail n’est pas obligatoire” et qu’il “manque un texte qui pourrait être pris très simplement et qui rendrait obligatoire le télétravail, avec une sanction pénale extrêmement dissuasive”, donnant le droit aux inspecteurs du travail, en cas de manquement de suspendre temporairement l’activité. Cette mesure simple serait simplement inconstitutionnelle.

Chaque nouvelle progression de l’épidémie de Covid-19 soulève la problématique des contaminations au sein des entreprises et l’intensification du recours au télétravail comme moyen d’y pallier. Le 14 octobre 2020, le député Aurélien Taché souhaitait ainsi rendre le télétravail contraignant dans les entreprises, nous amenant à surligner le caractère problématique de cette proposition au regard d’un risque d’inconstitutionnalité. Dans une interview sur l’antenne d’Europe 1, le 3 novembre 2020, la ministre du Travail affirmait même que le “protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19”, rendait déjà obligatoire ce télétravail, nous amenant là encore à contredire cette affirmation

Interviewé par France Info, le 24 mars 2021, Gérald Le Corre, représentant CGT au ministère du Travail et inspecteur du travail, considère que “contrairement à ce que répète le gouvernement, le télétravail n’est pas obligatoire“, et demande une “sanction pénale extrêmement dissuasive”. Comme moyen d’y parvenir, il précise notamment que “si monsieur Macron et madame Borne en avaient la vraie volonté politique, ils pourraient prendre une ordonnance qui préciserait que le non-respect du protocole de la DGT donne le droit aux inspecteurs du travail, en cas de manque de télétravail, d’absence de masques, de non-respect des gestes barrières ou d’absence de décontamination, de suspendre temporairement l’activité”.

En effet, le droit du travail actuel n’impose pas d’obligation légale de mise en place du télétravail dans les entreprises pour les activités de ses salariés pouvant être faites à distance. Celui-ci peut être instauré dans le cadre d’un accord collectif (de branche ou d’entreprise) ou d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique. En l’absence d’un de ces textes généraux, le salarié et l’employeur peuvent passer un accord individuel de télétravail (article L1222-9 du Code du travail). Si les circonstances exceptionnelles, comme l’épidémie actuelle, permettent à l’employeur d’imposer le télétravail à ses salariés pour leur protection et pour la continuité des activités de l’entreprise (article L1222-11 du Code du travail), la loi ne le contraint pas à le faire. En outre, le Conseil d’Etat a décidé en octobre 2020 que protocole national sanitaire (destiné à assurer la santé des salariés pendant l’épidémie) ne constitue qu’un ensemble de recommandations rappelant les  obligations de sécurité de l’employeur à l’égard de ses employés, dans le cadre de l’épidémie de Covid-19. Autrement dit, ce protocole ne fait que rappeler les obligations qui existent déjà en vertu du Code du travail, mais n’en ajoute pas.

Une loi ou une ordonnance pourrait-elle contraindre un employeur à mettre en place le télétravail, et prévoir la fermeture temporaire de l’entreprise en cas de non-respect, comme l’envisage Gérald Le Corre ? 

Actuellement, l’inspection du travail peut procéder à l’arrêt temporaire des travaux ou de l’activité dans des cas très précis qu’il faut énumérer pour comprendre.
D’une part, il faut un danger grave et imminent pour la vie ou la santé d’un travailleur (article L. 4732-1 du Code du travail), qui peut résulter notamment d’un défaut de protection contre les chutes de hauteur,  risques d’ensevelissement, contre les risques liés à l’amiante, contre les risques liés à l’utilisation d’équipements de travail présentant des dangers, contre les risques liés au travail sur les lignes électriques aériennes ou souterraines, ou sur du courant électrique.
D’autre part, il faut qu’un salarié soit exposé au-delà des limites prévues par les textes, à un agent chimique cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction, et qu’il se trouve dans une situation dangereuse résultant du dépassement d’une valeur limite d’exposition professionnelle.(article L.4721-8 du Code du travail). 

Dans de tels cas, l’inspecteur du travail met en demeure l’employeur de mettre fin à la situation de danger. Si l’employeur n’obtempère pas, l’inspecteur du travail procède à un arrêt temporaire de l’activité (article L. 4731-2 du Code du travail) après vérification par un organisme que le danger persiste.

Toutes ces possibilités d’arrêt temporaire d’une activité s’appuient donc sur des éléments très précis, encadrés voire chiffrés. Les normes de sécurité du travailleur doivent donc être précisément décrites car il en va aussi de la sécurité juridique de l’employeur, qui ne doit pas se retrouver poursuivi au pénal du fait de l’imprécision des textes. On comprend dès lors qu’il n’est pas possible d’organiser  “très simplement” le télétravail généralisé. 

Ajoutons que comme forme d’organisation du travail dans une entreprise, le télétravail relève de la liberté d’entreprendre. Cette liberté est constitutionnelle : elle permet à l’employeur de choisir la stratégie de l’entreprise comme les moyens de la mettre en œuvre, et découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Elle est fortement et régulièrement protégée par le conseil constitutionnel sur des thèmes aussi divers que la liberté de choisir ses collaborateurs, le choix d’un repreneur lors d’une cession d’une branche de l’activité de l’entreprise, la limitation du droit de licencier… Ensuite, M. Le Corre demande la mise en place d’une infraction pénale. Or le caractère imprécis ou équivoque d’une telle infraction la rendrait inconstitutionnelle (principe de légalité des crimes et délits).

En conclusion, rendre obligatoire le télétravail, par une loi ou une ordonnance, avec une sanction pénale dissuasive et en donnant le droit aux inspecteurs du travail, en cas de manquement, de suspendre temporairement l’activité, n’est pas si simple. Sans une fine détermination par le législateur des missions éligibles au télétravail et des organisations du travail adaptées, ce que les partenaires sociaux avaient eux-mêmes préconisé dans leur accord du 26 novembre 2020 auquel renvoie d’ailleurs le protocole du ministère du travail, une obligation générale de télétravail serait inconstitutionnelle.

Contacté, M. Le Corre n’a pas répondu à nos questions.

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