Christian Estrosi, à propos des sept personnes poursuivies dans le cadre de l’attentat contre le professeur Samuel Paty : “leur place est en prison !”

Création : 28 octobre 2020
Dernière modification : 21 juin 2022

Auteur : Pierre Fleury-Le Gros, maître de conférences en droit privé à la Faculté des affaires internationales du Havre

Source : Le Point, le 21 octobre 2020

Seul un juge peut affirmer juridiquement que la place d’une personne est en prison. Christian Estrosi peut avoir son opinion bien sûr, mais en tant que représentant politique, il ne peut bafouer le principe de présomption d’innocence.

Mercredi 21 octobre, Christian Estrosi s’est exprimé au sujet des sept personnes mises en examen après l’assassinat de Samuel Paty. Ce professeur de Conflans-Sainte-Honorine a été décapité par un terroriste pour avoir illustré son cours sur la liberté d’expression avec des caricatures du prophète. Christian Estrosi, maire de Nice, ancien député, ancien ministre, n’y va pas par quatre chemins : “leur place est en prison !.

Ces propos sont problématiques : d’une part, ils portent atteinte à la présomption d’innocence, d’autre part, la culpabilité qu’ils induisent comme acquise est au contraire incertaine.

Premièrement, nous avons récemment rappelé sur ce site que le droit français et le droit international garantissent le principe de la présomption d’innocence.

En application de ce principe dont la force obligatoire a alors été développée, une personne poursuivie pénalement est présumée innocente tant qu’une juridiction ne l’a pas déclarée coupable. Pour l’heure, il existe seulement à l’encontre des personnes visées par Christian Estrosi des indices graves ou concordants qui autorisent à les soupçonner d’avoir commis une infraction (article 80-1 alinéa 1 du code de procédure pénale). En déclarant que leur place est “en prison“, il présume l’existence d’une culpabilité non encore établie par le juge, et porte ainsi atteinte à cette présomption d’innocence. Le politicien chevronné qu’il est ne méconnaît certainement pas l’existence de ce principe.

Deuxièmement, cette culpabilité qu’il considère comme acquise est incertaine. Six des sept personnes soupçonnées d’être impliquées dans cet assassinat ont été mises en examen pour “complicité d’assassinat terroriste“. Or,  l’article 121-7 du code pénal précise que l’acte de complicité ne peut être retenu que lorsqu’une personne a “sciemment” facilité la préparation ou la consommation de l’infraction. Le Ministère public pourra-t-il prouver que cette assistance a été “sciemment” réalisée, en connaissance de l’assassinat projeté ? On peut craindre que non : selon le procureur de la République, l’assassin aurait seulement indiqué aux deux adolescents poursuivis  qu’il projetait de “filmer le professeur, l’obliger à demander pardon pour la caricature du prophète, l’humilier et le frapper“. L’ignorance par ces enfants des intentions réelles du tueur semble exclure la complicité d’assassinat pourtant considérée comme acquise par Christian Estrosi. De plus, le prononcé de peines d’emprisonnement à l’égard des mineurs reste une exception, le principe étant plutôt de privilégier des mesures éducatives. La possibilité qu’ils purgent une peine d’emprisonnement est donc vraiment incertaine.

Contacté, Christian Estrosi n’a pas répondu à nos questions.

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