1974-1981 : les grandes lois du giscardisme

Création : 6 décembre 2020
Dernière modification : 21 juin 2022

Auteurs : Coraly Goupil, Clémence Rabadeux, Audrey Reuter et Luc Vanhaeren du Collège de droit de l’Université Paris-Saclay, sous la direction de Jean-Paul Markus, professeur de droit, Université Paris-Saclay

La presse a suffisamment évoqué le bilan social, économique et politique du septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Loin de nous l’idée de rééditer ce qui existe. En revanche, un bilan législatif complètera utilement les nombreuses biographies sorties ces derniers jours. Car les lois promulguées sous “VGE” se sont caractérisées par un bond qualitatif et démocratique que le président suivant – François Mitterrand – prolongera sur certains aspects (en particulier la liberté des médias et les lois sociales). D’autres avancées giscardiennes seront approfondies dans les années 2000, lorsqu’il faudra tenir compte des progrès technologiques dans les rapports entre l’administration et les citoyens, mais aussi en matière environnementale. S’il est possible, en négatif, de dresser un bilan moins laudateur sur d’autres aspects, le choix qui est ici fait est, dans les domaines qui suivent, de montrer en quoi le septennat de Valéry Giscard d’Estaing aura été fondateur en droit.

De profondes réformes en droit civil

Immédiatement après son élection, par une loi du 5 juillet 1974, le Parlement abaisse la majorité civile à 18 ans.

Peu de temps après, la condition féminine sera marquée par plusieurs évolutions importantes : la loi Veil du 4 décembre 1974 libéralisant la contraception (ou “régulation des naissances”) tout en assurant une prise en charge par l’Assurance maladie. Auparavant, la loi Neuwirth de 1967 avait autorisé la contraception, mais de manière restrictive. Le congé parental d’éducation de deux ans est instauré le 12 juillet 1977. La loi du 11 janvier 1975 introduit dans le code civil le divorce par consentement mutuel, et celle du 11 juillet de la même année renforce les voies d’exécution judiciaires à l’égard des débiteurs de pensions alimentaires, c’est-à-dire la possibilité de demander au juge de contraindre le parent un peu oublieux de payer la pension. Enfin, une autre loi Veil du 17 janvier 1975, bien plus connue, légalise l’interruption volontaire de grossesse, à titre expérimental, pour cinq ans : c’est une loi du 31 décembre 1979 qui rendra cette légalisation définitive.

Autre avancée en droit civil, l’indemnisation par l’État des victimes de dommages corporels liés à une infraction, lorsqu’elles sont confrontées à l’insolvabilité de l’auteur des faits (loi du 3 janvier 1977).

Des lois sociales face à la fragilisation de l’économie

Le choc pétrolier de 1973 commençant à retentir sur l’économie, la loi du 3 juillet 1975 rendit obligatoire la consultation des représentants du personnel sur les projets de licenciement pour motif économique, et instaura l’autorisation administrative préalable de licenciement. Depuis, cette autorisation n’a été maintenue que pour les représentants du personnel. La loi du 16 janvier 1979 viendra ensuite systématiser le “revenu de remplacement” qui vise à compenser la perte de rémunération en cas de licenciement. Parallèlement, une loi du 27 décembre 1976 sur la prévention des accidents du travail renforça la formation des salariés à la sécurité, les règles de responsabilité en cas de manquement grave, ainsi que les pouvoirs de l’inspection du travail. On l’oublie parfois, mais il y a eu une époque où les salaires n’étaient pas payés à la fin du mois. La mensualisation des salaires a été instaurée par la loi du 19 janvier 1978, avec un salaire identique quel que soit le nombre de jours du mois, mais aussi la rémunération des jours chômés ou le maintien du salaire en cas d’arrêt maladie. Enfin, la “loi Boulin” du 18 janvier 1979 étend le réseau des conseils de prud’hommes à tout le territoire, et les rend compétents pour régler tout litige né de l’exécution d’un contrat de travail. Toutes ces prestations sont désormais financées par les moyens de service public eux-mêmes.

En parallèle, la loi du 30 juin 1975 pose le principe selon lequel la prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l’éducation, la formation et l’orientation professionnelle, l’emploi, la garantie d’un minimum de ressources, l’intégration sociale et l’accès aux sports et aux loisirs du mineur et de l’adulte handicapés physiques, sensoriels ou mentaux constituent une “obligation nationale”. Des dispositifs d’éducation spéciale ou encore des aides à l’adaptation des postes de travail par les entreprises sont ainsi prévus.

Les premières lois environnementales

C’est sous Valéry Giscard d’Estaing que seront tenues les promesses faites à l’UNESCO dès 1968, avec la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature : la protection des espèces et espaces naturels devient une activité d’intérêt général et tout projet d’aménagement, tous travaux doivent être précédés d’une étude d’impact sur l’environnement. Le statut d’espèce protégée est introduit pour les espèces animales et végétales, et les associations agréées se voient reconnaître une compétence consultative ainsi qu’un droit d’action en justice en tant que partie civile.

Le droit des déchets prend sa consistance avec les obligations de recyclage sous peine de sanctions en cas de dépôts sauvages (Loi du 15 juillet 1975). De même, la loi du 7 juillet 1976 réprime le fait d’éliminer les déchets incinérés en mer.

Une démocratisation de l’administration dans ses rapports avec l’administré

Le septennat de Valéry Giscard d’Estaing marque une évolution dans les rapports entre l’administration et les administrés, avec plus de transparence. Aussi, la loi du 17 juillet 1978 dont le titre est évocateur (“diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public”) proclame la liberté d’accès aux documents administratifs, loi qui sera étendue des décennies plus tard à la réutilisation des données administratives, afin notamment de faire fonctionner les applications diverses. La loi du 3 janvier 1979 crée un statut de l’archive publique et privée, dont elle prévoit la conservation et garantit l’accès à tous dans des délais variables. Cet accès aux documents administratifs sera conforté par l’obligation de motiver les actes administratifs  pour l’administration qui doit encore aujourd’hui, justifier sa décision (loi du 11 juillet 1979).

La fameuse loi “Informatique et libertés” du 6 janvier 1978 encadrera le traitement des données personnelles sous forme de fichiers, créant la Commission nationale Informatique et libertés (CNIL), première autorité administrative du genre en Europe et qui a pu servir de modèle. Ses compétences et ses pouvoirs ne cesseront de s’étendre par la suite, jusqu’à devenir centrale ces dernières années avec le renforcement des obligations européennes pour la protection des données.

Parallèlement, la loi du 30 décembre 1977 instaure la gratuité du procès devant les tribunaux civils ou administratifs, améliorant l’accès au juge, tandis que celle du 16 juillet 1980 permet aux juridictions administratives de condamner les personnes publiques ne respectant pas les décisions de justice à verser une certaine somme supplémentaire (cette loi restera très peu appliquée, et sera renforcée en 1995).

Ajoutons que depuis une loi du 31 décembre 1975, les Parisiens élisent leur maire, alors qu’auparavant un président du conseil de Paris faisait de la figuration aux côtés du préfet de Paris, véritable exécutif de la ville.

L’élargissement des droits de l’opposition parlementaire

Approfondissant l’État de droit, la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974 modifia l’article 61 de la Constitution en élargissant le mode de saisine du Conseil constitutionnel : auparavant seuls le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat pouvaient saisir le Conseil constitutionnel contre une loi votée, ce qui réservait en pratique le contrôle de constitutionnalité des lois à la majorité de l’époque. Depuis 1974, soixante députés ou soixante sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel, ce qui ouvrait le contrôle de constitutionnalité à l’opposition et constituait une petite révolution, dans une Cinquième République conçue pour être à la main de la seule majorité. Cette réforme sera complétée par celle de 2008 qui introduira, en plus, la question prioritaire de constitutionnalité.

L’extension des droits à l’éducation, à l’information et à la culture

Valéry Giscard d’Estaing a également contribué à élargir le droit à l’éducation puisque, par une loi du 11 juillet 1975 (dite “loi Haby”), il instaure le “collège unique”. Dans le prolongement des lois Ferry (1882) et alors que l’obligation scolaire était passée à seize ans depuis 1959, la loi Haby supprime la possibilité d’intégrer une filière professionnelle dès la fin du primaire et instaure le collège d’enseignement général gratuit pour tous les élèves.

L’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), établissement public étroitement contrôlé par l’exécutif, sera démantelé au profit de plusieurs sociétés de droit privé à capitaux publics, gérant autant de “chaînes” de télévision et de radio sur lesquelles la tutelle de l’Etat sera allégée dans le but de garantir une certaine indépendance (loi du 7 août 1974). C’est la création de Radio France, mais aussi de TF1, Antenne 2 ou encore FR3.

Enfin, la loi du 11 juillet 1978 de programme sur les musées lança notamment la construction du musée d’Orsay, inauguré en 1986 par son successeur, François Mitterrand.

L’approfondissement de l’intégration européenne

Mais c’est la construction européenne qui est le legs le plus souvent retenu par la presse, tant Valéry Giscard d’Estaing a contribué au renforcement de l’Union européenne (à l’époque “Communauté économique européenne”, CEE) : au cours du sommet européen de Paris du 9 décembre 1974, avec le chancelier allemand Helmut Schmidt, il a milité pour l’instauration d’une périodicité des réunions entre les neuf chefs d’États de la CEE. Ainsi fut créé le “Conseil européen”, un nom imposé par le président français et qui est source de confusions encore aujourd’hui, puisque nombre d’observateurs parlent parfois du Conseil (autre institution de l’Union), voire du Conseil de l’Europe (organisation internationale distincte de l’Union). Ce Conseil européen fut consacré en 2007, en devenant une institution à part entière de l’Union européenne, et qui est devenue centrale : c’est le Conseil européen qui géra la crise financière de 2009, ou qui encouragea en 2020 l’adoption d’un plan de relance européen de 750 milliards d’euros pour faire face à la crise sanitaire.

C’est aussi le Conseil européen qui, déjà en décembre 1978, impulsa la création du SME (Système monétaire européen) et de sa référence virtuelle, l’ECU, à l’initiative là encore de Valéry Giscard d’Estaing : le but était de stabiliser les monnaies européennes et de lutter contre l’inflation. Le SME pose ainsi une première pierre sur le chemin de l’union monétaire et la mise en circulation des premières pièces en euro le 1er janvier 2002.

Enfin, Valéry Giscard d’Estaing contribua grandement à l’adoption du suffrage universel pour l’élection du Parlement européen, dont la première présidente ne fut autre que Simone Veil, son ancienne ministre de la santé. C’est cette élection directement par les citoyens de l’Union qui a sans doute contribué le plus fortement depuis 1979 à l’intégration européenne. Grâce à cette légitimité populaire, les députés européens sont ainsi passés de simples consultants à législateur : depuis le traité de Lisbonne, 70 % des domaines de compétence de l’Union européenne relèvent du pouvoir du Parlement européen. L’engagement européen est d’ailleurs le point saillant de sa vie politique depuis son célèbre “au revoir”, et ce jusqu’à la fin de sa vie.

Mise à jour du 6 décembre à 23h00 : à la suite d’une remarque d’un lecteur sur nos réseaux sociaux, nous avons ajouté la révision constitutionnelle de 1974. Merci à ce lecteur de nous avoir aidés à améliorer cet article.

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