Jacques Paquier, CC 2.0

Valérie Pécresse entend contester la primauté du droit européen sur le droit national au nom des “identités constitutionnelles des États”

Création : 14 octobre 2021
Dernière modification : 24 juin 2022

Auteur : Lucas Massoni, Sciences Po Grenoble et master droits de l’homme et Union européenne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Source : Le Monde, 13 octobre 2021

Xavier Bertrand, Michel Barnier, Marine Le Pen, Arnaud Montebourg et maintenant Valérie Pécresse ont pris position pour défendre la souveraineté juridique de la France contre la primauté du droit européen, notamment en matière d’immigration. Si l’idée en soi n’est pas impossible à mettre en œuvre, il revient à la candidate – et ses pairs – d’exprimer très clairement comment elle compte s’y prendre pour éviter les sanctions de l’Union européenne si elle est élue en mai prochain.

L’idée défendue par Valérie Pécresse est qu’il faudrait ériger des garde-fous constitutionnels pour conserver la suprématie du droit français sur certaines normes européennes. L’idée est de mettre en place un “mécanisme de sauvegarde des intérêts supérieurs de la France” ou un “bouclier constitutionnel” pour que nos lois constitutionnelles “priment sur la juridiction européenne”. Or, ces garde-fous existent déjà en droit interne. 

Le garde-fou français : l’identité constitutionnelle de la France prime déjà sur le droit européen

Dans un avis du 16 mai 2018, le Conseil d’État a par exemple estimé qu’un règlement européen qui imposerait à la France le placement automatique d’un demandeur d’asile dans un pays tiers supposé sûr, sans même un examen au fond de son dossier, serait inconstitutionnel. Le Conseil constitutionnel vient d’identifier pour la première fois dans une décision QPC du 15 octobre 2021 un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, celui selon lequel les activités de police ne peuvent pas être confiées à des personnes privées. Le Conseil constitutionnel rappelle ainsi l’obligation du législateur de respecter ce principe, y compris lorsqu’il met en œuvre le droit de l’Union européenne. Cela signifie que la Constitution s’impose déjà au droit de l’Union européenne, mais seulement en ce qu’elle a de plus souverain, à savoir “l’identité constitutionnelle de la France”. Le droit français n’est donc pas dépourvu de moyens pour protéger sa souveraineté nationale. Il restera à savoir ce qu’on met dans cette “identité constitutionnelle”. Or on sait que Valérie Pécresse souhaite y mettre la politique migratoire en modifiant la Constitution. Il faudra attendre de voir, éventuellement, ce qu’en dira le Conseil constitutionnel, mais aussi la Cour de justice de l’Union européenne. Précisons que modifier la Constitution en insérant la politique migratoire dans l’identité constitutionnelle de la France n’est pas en soi contraire au droit de l’Union. C’est l’application qui en sera faite qui pourrait poser problème. 

Le garde-fou européen : la primauté comme fondement et condition de l’Union

Depuis la décision Costa contre Enel de 1964, la Cour de justice de l’Union a consacré la primauté du droit européen sur toutes les dispositions de droit interne, y compris donc la Constitution. Ce principe de primauté est d’autant plus important qu’il est considéré comme une condition nécessaire à l’intégration européenne. Il garantit en effet une application effective et uniforme du droit européen partout au sein de l’Union. Autrement dit, la Cour de justice redoute, en l’absence de primauté, une Europe à la carte et à géométrie variable dans laquelle les États accepteraient certaines normes plutôt que d’autres, ce qui reviendrait à détricoter l’Union. La primauté fait donc partie des fondements historiques et juridiques de l’Union, tout comme elle en conditionne le fonctionnement. La primauté du droit européen sur le droit national a même fait l’objet d’une reconnaissance par les États membres en 2007 dans une déclaration, non contraignante, mais adoptée par tous.

Comment rester dans l’Union sans respecter la primauté du droit européen ?

Il revient donc maintenant à Valérie Pécresse d’expliquer précisément aux électeurs les risques encourus si la France venait à modifier ses lois au mépris du droit de l’Union européenne. Le non-respect du droit de l’Union européenne déclencherait des procédures d’infraction contre la France, notamment par des recours en manquement prévus aux articles 258 à 260 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). La France serait condamnée à payer de lourdes amendes. Il en irait de même si la France, sans contredire le droit européen, se bornait à ne pas l’appliquer, comme le voudrait Marine Le Pen, ou si, comme suggéré par Michel Barnier, la France décidait de ne plus se soumettre à l’autorité des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne violant ainsi l’article 19 du traité sur l’Union européenne (TUE). 

Sortir de l’Union ou modifier les traités…

Si on pousse le raisonnement, les propositions avancées ne  sont tout simplement pas compatibles avec notre appartenance à l’Union européenne. Par souci de cohérence et d’honnêteté à l’égard des électeurs, les candidats à la présidentielle devront donc clairement envisager deux solutions : soit négocier avec les autres membres une révision des traités, conformément à l’article 48 TUE, pour y faire supprimer ou réduire le principe de primauté du droit européen. La Pologne, la Hongrie, la Slovénie, seraient assurément de notre côté, mais il faut l’unanimité des États membres pour réviser les traités, hypothèse très peu probable. Soit décider de se retirer de l’Union européenne en déclenchant l’article 50 TUE, autrement dit le Frexit.

De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme n’admettra aucune réforme constitutionnelle dérogeant aux droits et libertés protégés par la Convention, y compris en matière migratoire. La France devra donc se soumettre aux condamnations de la Cour de Strasbourg, à moins qu’elle ne décide de se retirer du système conventionnel et du Conseil de l’Europe rassemblant 47 pays d’Europe, idée quelque peu saugrenue qui sera difficile à assumer.

Contactée, Valérie Pécresse n’a pas répondu à nos sollicitations.


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