Usage de l’écriture inclusive : que dit la loi ?

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Création : 31 octobre 2023

Autrice : Clotilde Jégousse

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Ce lundi 30 octobre, le Sénat a adopté en première lecture une proposition de loi pour interdire l’écriture inclusive dans « tous les cas où un document en français est exigé ». La jurisprudence l’a pourtant déjà considérée comme appartenant à la langue française.

Lors de l’inauguration de la cité internationale de la langue française, ce lundi 30 octobre au château de Villers-Cotterêts, Emmanuel Macron s’est dit défavorable à l’écriture inclusive. « La force de la syntaxe [de la langue française] est de ne pas céder aux airs du temps. Dans cette langue, le masculin fait le neutre. On n’a pas besoin de rajouter des points au milieu des mots ou des tirets pour la rendre visible », a-t-il déclaré. Mais peut-on pour autant l’interdire ? 

“La langue de la République est le français”

Deux circulaires ont déjà restreint l’usage de l’écriture inclusive. Le 21 novembre 2017, Edouard Philippe, alors Premier ministre, avait proscrit le point médian – un signe typographique qui permet d’inclure à la fois les femmes, les hommes et les personnes non binaires – pour tous les agents publics. Le 5 mai 2021, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale l’avait lui interdit dans les productions administratives de l’éducation nationale et dans l’enseignement, considérant qu’il s’agissait d’un « obstacle à la lecture et à la compréhension de l’écrit », particulièrement pour les enfants en situation de handicap ou sujets à des troubles de l’apprentissage. 

En dehors de ces deux circulaires, les seules interdictions qui existent concernant le langage en droit français sont contenues dans la loi dite Toubon – du nom du ministre de la culture de l’époque, Jacques Toubon – qui protège le patrimoine linguistique français depuis le 4 août 1994. Après l’ajout de la phrase “La langue de la République est le français » à l’article 2 de la Constitution française en 1992, dans un contexte de construction européenne qui fait craindre au législateur une propagation des anglicismes, celle-ci a rendu obligatoire l’usage de la langue française pour les dans les contrats de travail, les relations commerciales, la publicité ou encore les règlements intérieurs des entreprises. Les personnes morales de droit public, comme l’État ou les collectivités territoriales, ont l’interdiction d’utiliser des termes étrangers lorsqu’il existe une expression ou un terme français de même sens. En 2022, l’État a par exemple été enjoint par le tribunal administratif de Paris de ne plus employer l’expression « Health Data Hub » pour désigner sa plateforme de données de santé, à la suite d’une requête de l’association de défense de la langue française Francophonie Avenir en avril 2020. 

Pascale Gruny, le sénateur – elle refuse le terme de sénatrice – Les Républicains qui a déposé la proposition, entend bannir l’écriture inclusive « dans tous les cas où le législateur (et éventuellement le pouvoir réglementaire) exige un document en français », c’est-à-dire dans tous les domaines concernés par la loi Toubon.

Inclusif n’est pas français ?

Aucun texte légal ne dit pourtant que la graphie inclusive ne fait pas partie de la langue française. C’est ce qu’a estimé le tribunal administratif de Paris dans une décision du 14 mars 2023, alors qu’il était saisi, toujours par l’association Francophonie Avenir, au sujet de l’utilisation du point médian sur une plaque commémorative de la ville de Paris. L’association estimait que l’inscription n’était « pas du français » et était donc contraire à la loi Toubon, ce que le tribunal a rejeté.

Outre ce jugement isolé – peu de contentieux existent pour le moment sur le sujet, les autorités publiques et les collectivités territoriales utilisant peu l’écriture inclusive – il est difficile d’imaginer restreindre la liberté des personnes privées d’utiliser le langage qu’elles souhaitent. « Si la loi s’adresse aux agents publics ou aux autorités de l’État, cela ne pose pas de problème. Mais je ne vois pas comment elle pourrait interdire l’écriture inclusive aux personnes privées. Un contrat de travail entre une entreprise et un salarié pourrait tout à fait être rédigé en langue inclusive, si cela n’altère pas la compréhension », analyse Jordane Arlettaz, professeure de droit public à l’université de Montpellier et autrice d’une contribution à la revue Pouvoirs (éditions Seuil) en septembre 2023 consacrée à la langue française. 

Après l’adoption de la loi Toubon, le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs censuré certaines dispositions qui prévoyaient, pour des personnes privées sans mission de service public, « l’obligation d’user, sous peine de sanctions, de certains mots ou expressions définis par voie réglementaire sous forme d’une terminologie officielle ». Il avait estimé que celles-ci contrevenaient à la liberté d’expression, protégée à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. « Dans ce contexte, selon moi, la proposition de loi contredit la décision du Conseil constitutionnel », indique Jordane Arlettaz. 

Dans cette même veine, Benjamin Moron-Puech, professeur de droit privé à l’université Lumière Lyon 2, entendu par le Sénat il y a une dizaine de jours sur le sujet, propose, lui, d’inscrire la liberté de chacun de choisir un langage particulier. « Ni le français “standard”, ni l’écriture inclusive ne doivent pouvoir être imposés ».

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