Un travailleur sans papiers peut-il cotiser à la sécurité sociale sans pour autant avoir de droits ?

Création : 19 octobre 2023
Dernière modification : 24 octobre 2023

Auteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS, Laboratoire Droit et Changement social, Nantes Université.

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani

Un travailleur en situation irrégulière sur le territoire français peut tout à fait cotiser sans jamais bénéficier des prestations sociales qui sont la contrepartie de ces cotisations. Contre toute attente et en toute légalité.

Deux tweets d’Olivier Faure (secrétaire général du Parti socialiste) sont l’occasion d’éclairer cette question souvent posée. Il écrit ainsi : “Il y a une forme d’hypocrisie absolue concernant l’immigration : les travailleurs sans papiers cotisent mais ne sont pas régularisés, et font l’objet d’OQTF qui ne peuvent être exécutées.  Nous devons sortir de ce paradoxe. Les travailleurs sans papiers doivent être régularisés” (X, 4 octobre 2023). “Le Gvt ne peut pas renvoyer, mais ne veut pas intégrer : il organise le désordre. Il faut en finir avec l’exploitation de travailleurs sans papiers qui cotisent sans droits” (X,6 octobre 2023). 

Comment des travailleurs peuvent-ils cotiser sans pour autant acquérir de droits aux prestations sociales telles que l’assurance maladie ou la pension de retraite ?

L’article L. 115-6 du Code de la sécurité sociale fournit la réponse : “Les personnes de nationalité étrangère ne peuvent être affiliées à un régime obligatoire de sécurité sociale que si elles remplissent la condition de régularité du séjour (en France). En cas de méconnaissance des dispositions du premier alinéa et des législations qu’il mentionne, les cotisations restent dues”. Précisions…

IL FAUT D’ABORD DISTINGUER TRAVAIL NON DÉCLARÉ ET TRAVAIL D’UN SALARIÉ ÉTRANGER SANS TITRE

Le travail non déclaré, dit “travail au noir”, est le fait pour un employeur d’employer un salarié, sans que ce travail soit déclaré aux organismes sociaux. Dans ce cas, l’employeur ne verse aucune cotisation sociale patronale ou salariale et le salarié n’acquiert aucun droit. C’est interdit par l’article L’article L. 8221-1 du Code du travail, et ce n’est pas l’hypothèse visée par Olivier Faure. 

L’autre hypothèse est celle de l’emploi d’un travailleur étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France, c’est-à-dire un travailleur embauché et déclaré, pour lequel l’employeur verse bien des cotisations sociales, mais qui n’a pas le droit de travailler en France. Or, l’employeur qui souhaite embaucher un salarié non européen, doit vérifier que celui-ci détient bien un titre de séjour autorisant le travail (article L. 8251-1 du Code du travail). Si tel n’est pas le cas, il s’expose à une sanction. 

L’emploi d’un travailleur sans papier relève donc de deux hypothèses : soit l’employeur ne respecte pas la loi en ne s’assurant pas que l’employé détient une autorisation de travail (c’est dans ce registre que s’inscrit probablement Olivier Faure), soit l’employé lui a présenté de faux papiers. Dans les deux cas, l’employé cotise. 

Pour cotiser, il faut avoir un numéro de sécurité sociale

En principe, l’embauche d’un salarié ne peut intervenir qu’après déclaration nominative (déclaration préalable à l’embauche – dite DPAE : articles L. 1221-10 et suivants du Code du travail) par l’employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet (URSSAF ou MSA pour les salariés agricoles), et ce, quelles que soient la durée et la nature du contrat de travail envisagé. Cette déclaration doit mentionner le numéro de sécurité sociale du salarié.

Une personne étrangère peut parfaitement avoir ce numéro. Il faut pour cela qu’elle travaille en France, ou qu’elle y réside de façon stable et régulière. Elle peut demander ce numéro auprès de l’Assurance Maladie en présentant des justificatifs (carte d’identité, passeport, titre de séjour, pièce d’état civil, contrat de travail ou encore bulletin de paie ou justificatif de résidence de plus de 3 mois). L’Assurance Maladie délivre alors un numéro d’identifiant d’attente (NIA) qui ne permet ni la délivrance d’une carte Vitale, ni l’ouverture d’un compte ameli. Puis après vérification, le NIA se transforme en NIR (numéro d’inscription au répertoire ou numéro de sécurité sociale).

Un travailleur en situation irrégulière peut avoir un numéro de sécurité sociale…

Le paradoxe s’explique : première hypothèse, le travailleur sans papier a déjà un numéro de sécurité sociale NIR, par exemple parce qu’il a étudié en France. Un étudiant originaire de pays non membres de l’espace économique européen (EEE) peut effectuer une demande en ligne pour ouvrir ses droits à la sécurité sociale en France, et obtenir par la suite une attestation de droits avec le numéro de sécurité sociale attribué en attendant que la carte vitale soit fabriquée. Au moment de l’embauche, l’employeur mentionnera donc ce numéro dans la déclaration DPAE. 

Seconde hypothèse, le salarié en situation irrégulière ne possède pas de numéro de sécurité sociale. Malgré cela, l’employeur peut l’identifier en déclarant un NTT (Numéro Technique Temporaire) en ajoutant de toutes les informations possibles sur les éléments d’état civil du salarié. Il s’agit en principe d’une solution transitoire le temps que le salarié dispose d’un numéro reconnu par la Sécurité Sociale. 

Dans ces deux hypothèses, l’employeur versera les cotisations sociales patronales et salariales à l’URSSAF, à l’occasion de paiement du salaire de ce travailleur, même sans papiers.

…Mais ce numéro ne permet pas de bénéficier des droits du fait de la situation irrégulière

Les étrangers en situation irrégulière peuvent ne peuvent que bénéficier d’une aide d’accès aux soins appelée Aide Médicale d’État (AME) s’ils résident en France depuis au moins trois mois de manière ininterrompue et si leurs ressources ne dépassent pas un certain plafond. L’AME donne droit à la prise en charge à 100 % des soins en cas de maladie ou de maternité, dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale, ainsi qu’au bénéfice du tiers-payant (qui dispense de l’avance des frais). L’AME n’est pas liée à une quelconque cotisation du travailleur en situation irrégulière.

Mais c’est tout : pour bénéficier des prestations sociales telles que l’assurance maladie, il faut être en situation régulière ou avoir entamé les démarches pour obtenir un titre de séjour. Idem pour protection universelle maladie (PUMA), en place depuis le 1er janvier 2016, qui remplace la couverture maladie universelle (CMU). Autre conséquence, concernant la retraite, une personne en situation irrégulière peut avoir cotisé pendant 40 ans mais si, au moment où elle demande à en bénéficier, elle n’a toujours pas de titre de séjour quelle qu’en soit la raison, elle ne touchera pas de retraite. Elle n’aura pas non plus droit à l’Allocation de solidarité aux personnes âgées.


Article modifié le 24 octobre 2023 à 10h00. À la suite d’un message d’un lecteur, une imprécision a été corrigée.

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