Un peu de philo du droit : Pourquoi obéissons-nous au droit ?
Dernière modification : 20 juin 2022
Auteur : Maxence Christelle, maître de conférences en droit public à l’université de Picardie Jules Vernes
Depuis le début de la crise sanitaire que nous traversons, nous avons été récepteurs de messages qui peuvent sembler contradictoires : d’un côté, respecter les mesures dictées par le gouvernement et ainsi se protéger soi ainsi que les autres ; de l’autre, de nombreux professionnels du droit se sont élevés contre ces restrictions à nos libertés, les jugeant excessives au regard du risque présent. En somme, il fallait obéir, mais ne pas obéir à n’importe quoi au seul motif que ce serait obligatoire. Ce faisant, c’est notre rapport au droit, et à son caractère contraignant qui se trouvait ainsi interrogé.
En effet, de façon spontanée, nous avons tous tendance à penser le droit et ses règles comme synonyme de contrainte. Il serait ainsi ce qui limite ce que nous pouvons faire, tant pour nous-même qu’avec les autres. Droit et liberté seraient donc opposés, alors qu’ils sont en réalité indissociables.
Pas de droit sans liberté
Dans un premier temps, il faut déjà remarquer que le droit n’existe que parce qu’il y a de la liberté. Il n’y a en effet pas de sens à obliger quelqu’un à être quelque chose, à faire quelque chose en particulier si cette personne ne peut pas faire autrement. Il faut donc que nous ayons la possibilité d’adopter des comportements divers, et parfois opposés, pour qu’il soit envisageable d’en interdire certains, ou d’obliger par le droit à telle ou telle action ou abstention. La liberté est ainsi une condition d’existence du droit, sans laquelle il perd toute raison d’être.
Adhésion individuelle et efficacité de la règle juridique
Cette idée de liberté se retrouve également une fois la règle juridique applicable. Ici, il faut distinguer entre d’un côté, l’adhésion individuelle à une règle de droit, le consentement à la reconnaître comme du droit, et de l’autre son efficacité. Pour le dire autrement, le fait de ne pas consentir à une règle de droit, de lui dénier son caractère de droit, ne signifie en aucune façon que cette règle ne pourra pas nous être appliquée. Cela n’empêche toutefois pas, par exemple, les pouvoirs publics de chercher le plus souvent à obtenir l’adhésion de la population face aux mesures qu’ils souhaitent prendre. Quoi qu’il en soit, on observe toujours que certains consentent à tel ou tel type de règle, et d’autres non, preuve qu’il y a donc ici aussi une forme de liberté qui peut s’exercer. C’est ce qui s’est produit pendant le confinement.
La peur de la sanction ne suffit pas à expliquer le respect de la règle
Mais alors, pourquoi cette focalisation qui paraît si évidente sur la sanction comme élément fondamental du droit ? C’est en effet la crainte de la sanction qui dans l’esprit de la plupart d’entre nous fait que l’on respecte le droit, ou plutôt que le droit s’applique à nous. Reprenons l’exemple du confinement : initialement (le 17 mars 2020), l’amende encourue pour infraction à la législation sur le confinement était de 38 euros. Immédiatement ou presque, cette somme a été jugée trop faible pour constituer un frein significatif pour celles et ceux qui voulaient malgré tout sortir de chez eux. C’est ainsi que le montant de cette amende a été significativement augmentée, pour être portée dès le lendemain à 135 euros et plus en cas de récidive. Cela signifie donc que la sanction et son importance constituent des éléments importants dans la manière dont nous nous positionnons individuellement par rapport à une règle de droit. Mais la seule sanction est insuffisante pour assurer le respect d’une règle de droit. La question de la peine de mort, en tant que punition ultime, est à cet égard emblématique : dans les pays qui continuent d’appliquer cette peine capitale, il se trouve toujours des personnes qui, malgré tout, violent le droit en vigueur et s’exposent à cette sanction.
La sanction seule ne paraît donc pas suffire à expliquer pourquoi nous obéissons aux règles. Pendant le confinement, il est évident qu’une partie de la population française pouvait, sans trop de crainte, assumer la sanction financière prévue, et se risquer à sortir. Et pourtant, dans sa très grande majorité, la population française a bien respecté l’ensemble des règles imposés par le gouvernement. Plus encore, nous nous sommes soumis au respect de règles qui n’étaient pas formellement juridiques (recommandations formulées par le gouvernement lors de conférences de presse par exemple), ou sanctionnées (l’interdiction de rassemblement de plus de dix personnes dans un espace privé par exemple).
Comment alors expliquer cette soumission volontaire ?
Bien évidemment, la raison n’est pas unique, et il est impossible de formuler une explication définitive à cette situation. En effet, ce dont nous parlons ici, c’est-à-dire du caractère normatif de la règle de droit est une question très ancienne dans la réflexion juridique et philosophique. On peut toutefois déjà suivre Jean-Jacques Rousseau, en considérant que ce ne peut être simplement la force qui fait que nous nous soumettons. À cet égard, les printemps arabes ont pu montrer que malgré tout l’appareil de répression qui soutenait ces régimes autoritaires, celui-ci n’a heureusement pas suffi à empêcher le soulèvement des peuples, et le renversement des dirigeants en place.
En fait, la période de confinement que nous venons de vivre permet notamment de faire retour à une idée très simple et bien connue en philosophie politique, que l’on retrouve notamment au sein des théories dites du contrat social. Selon celles-ci, nous attendons de l’État, et par extension du droit, qu’ils permettent de garantir notre sécurité, qu’ils nous prémunissent contre le risque que notre vie s’arrête en raison de la survenance de tel ou tel événement. C’est peut-être cela qui explique la docilité avec laquelle nous avons collectivement respecté les règles imposées par la situation sanitaire, parce que nous avons considéré que notre vie était menacée, et qu’elle pouvait être préservée plus efficacement par notre soumission à ces prescriptions. Pour le dire de façon brutale : nous avons obéi, et nous avons renoncé à certaines de nos libertés les plus fondamentales, parce que nous voulions, désespérément, vivre.
Soumission au droit, soumission à nos angoisses ?
Mais s’arrêter ici, c’est manquer de vue que la garantie de cette sécurité face à la mort, outre le fait qu’elle relève davantage du fantasme que de la réalité, n’est qu’un élément parmi d’autres de ce que nous appelons « vivre ». La vie ne se résume en aucune façon à la sécurité, sans quoi il n’y aurait pas de meilleure vie que celle passée dans une chambre stérile, sans aucun contact avec qui que ce soit ! Il nous faut donc rester vigilants, sur le plan individuel comme collectif, de façon à ne pas faire de nos angoisses les seuls seigneurs et maîtres de notre avenir.
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