Crédits photo : Pierrot75005, CC 4.0

Selon Gérald Darmanin, c’est la loi Immigration qui a permis d’expulser rapidement l’imam Mahjoubi

Création : 6 mars 2024

Auteur : Baptiste Leclère, étudiant à l’Université de Caen

Relectrice : Maria Castillo, maître de conférences en droit public à l’Université de Caen

Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Source : Compte X de Gérald Darmanin, 23 février 2024

Si la nouvelle loi sur l’immigration du 26 janvier 2024 a bien eu une incidence sur l’expulsion de l’imam Mahjoub Mahjoubi, accusé par le ministre d’avoir tenu des propos polémiques sur les réseaux sociaux, la rapidité de l’expulsion n’est cependant pas due à la loi Darmanin.

Ce vendredi 23 février 2024, Gérald Darmanin se félicitait que “l’Imam radical Mahjoub Mahjoubi vient d’être expulsé du territoire national, moins de 12h après son interpellation. C’est la démonstration que la loi Immigration, sans laquelle une telle expulsion aussi rapide n’aurait pas été possible, rend la France plus forte. Nous ne laisserons rien passer.”

La loi Darmanin a étendu les cas d’expulsion des personnes en principe non expulsables

En principe, l’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public, sous réserve des situations particulières pour lesquelles l’étranger bénéficie d’une protection accrue, prévue par Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Ainsi, l’article L.631-3 du CESEDA prévoit une quasi-impossibilité d’expulser les étrangers justifiant de liens de rattachement particuliers avec le territoire national. Sont notamment protégés contre l’expulsion, l’étranger qui réside habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans, mais également celui qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans, ou encore celui qui réside en France depuis plus de dix ans et est marié depuis au moins quatre ans soit avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française ou est parent de français mineurs (ce qui est le cas de l’imam). Cette liste de d’étrangers non expulsables en principe n’a pas été modifiée par la loi de 2024. Cette protection renforcée connait néanmoins des limites, et c’est là que la loi Darmanin a introduit une évolution ayant permis l’expulsion de l’imam Mahjoubi.

Avant la loi dite “Immigration” du 26 janvier 2024, l’étranger bénéficiant d’une protection renforcée ne pouvait être expulsé que si sa présence en France constituait “une menace grave pour l’ordre public” (article L.631-1), ou une “nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique” (article L.631-2). Pouvait également être expulsé celui dont les comportements étaient “de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes” (article L.631-3).

L’article 35 de la nouvelle loi Immigration, validé par le Conseil constitutionnel (décision du 25 janvier 2024, paragraphes 122 à 126), a modifié l’article L.631-3 du CESEDA en incluant, dans la catégorie des comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, la “violation délibérée et d’une particulière gravité des principes de la République énoncés à l’article L.412-7 du CESEDA.” Ces principes républicains englobent “la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution, l’intégrité territoriale, définie par les frontières nationales.” Le respect des principes républicains implique également de “ne pas se prévaloir de ses croyances ou de ses convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers.” C’est cette modification qui a permis au ministre de l’Intérieur de motiver l’arrêté d’expulsion de l’imam Mahjoubi. Gérald Darmanin a en effet invoqué un “appel à la haine” de la part de l’imam de Bagnols-sur-Cèze auquel il a été reproché de véhiculer une “conception littérale, rétrograde, intolérante et violente de l’islam, de nature à encourager des comportements contraires aux valeurs de la République, la discrimination à l’égard des femmes, le repli identitaire, les tensions avec la communauté juive et la radicalisation djihadiste.”

La possibilité d’expulser l’imam en moins de 12 heures existait déjà

Que l’étranger à expulser soit particulièrement protégé ou non, la procédure d’expulsion doit respecter une phase de contradictoire. D’abord, le préfet doit informer l’étranger de la procédure qui le vise quinze jours avant son audition par la Commission départementale d’expulsion des étrangers, composée du président du tribunal judiciaire territorialement compétent et de deux magistrats, l’un membre de l’ordre judiciaire, l’autre membre de l’ordre administratif. Cette commission rend un avis, mais qui ne lie pas le préfet.

Cette phase d’échanges n’a toutefois pas à être respectée dans une situation d’”urgence absolue” telle que celle invoquée pour procéder à l’expulsion de l’imam Mahjoubi. La procédure d’urgence absolue peut être mise en œuvre lorsque l’étranger constitue une menace pour l’ordre public, et que les circonstances rendent impossible le respect de la procédure ordinaire d’expulsion. L’autorité administrative compétente n’est alors plus le préfet mais le ministre de l’Intérieur. Ce dernier peut expulser la personne en moins de 12 heures, si les conditions de réacheminement (trouver une place dans un avion, obtenir un laissez-passer consulaire…) sont réunies selon le juge. Le Conseil constitutionnel est du même avis (Décision du 5 octobre 2016).

Dans le cadre de cette procédure d’urgence, le recours juridictionnel contre l’arrêté d’expulsion n’est pas nécessairement suspensif, c’est-à-dire qu’il n’empêche par l’expulsion. Or, ce régime exceptionnel n’est pas issu de la loi Darmanin. Il est principalement fondé sur les articles L.632-1 et R.632-1 du CESEDA, tels qu’issus de l’ordonnance et du décret du 16 décembre 2020, tous deux entrés en vigueur le 1er mai 2021. La loi du 26 janvier 2024 n’a apporté aucune modification à ces articles.

Une expulsion qui, même mise en œuvre, peut être contestée

Mercredi 28 février 2024, l’imam Mahjoubi a déposé un référé-liberté contre l’arrêté ministériel ayant décidé de son expulsion. L’affaire reste donc à suivre, d’autant que les expulsions, même lorsqu’elles sont déjà faites, ne sont pas à l’abri d’une annulation par le juge, qui ordonne alors le retour de la personne concernée (Conseil d’État, Ordonnance du 7 décembre 2023). Cependant, il convient d’observer que ce lundi 4 mars 2024, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le recours émis par l’imam. Par conséquent, la seule possibilité qui reste à l’imam Majouhbi est de déposer un recours en cassation.

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